Anne Fairise, publié le , mis à jour le
Le dossier est sensible. En proposant, par voie d’amendement, la création d’une prime de précarité pour les CDD courts, le gouvernement apporte une modification majeure au projet de loi réformant la fonction publique. « Nous voulons préserver les droits des agents tout en leur en donnant de nouveaux », a déclaré Olivier Dussopt, secrétaire d’État en charge du dossier, en ouverture de l’examen du texte, en procédure accélérée, à l’Assemblée nationale. L’amendement, adopté le 17 mai, reprend une proposition d’Émilie Chalas, députée La République en marche de l’Isère et rapporteuse du projet de loi, mais déclarée « irrecevable », le Parlement ne pouvant proposer une « aggravation d’une charge publique » (selon l’article 40 de la Constitution).
La portée sera restreinte. La création de cette prime de fin de contrat concerne uniquement les agents terminant un CDD d’une durée inférieure ou égale à un an, sans être renouvelé. En sont exclus les agents en contrat saisonnier, comme ceux qui signeront le nouveau « contrat de projet » prévu par le projet de loi (destiné à la réalisation d’une mission précise, lire plus loin).
Certes, le nombre d’agents concernés est important, potentiellement puisque 68% des contractuels en CDD de la fonction publique ont un contrat d’une durée inférieure à un an, selon l’Insee. C’est le cas pour près de neuf sur dix dans la fonction publique hospitalière, pour 72% dans la fonction publique territoriale et pour 56% dans la fonction publique de l’Etat.
Reste qu’il y a une autre condition d’accès à cette indemnité, qui devrait être équivalente à 10% du montant brut perçu, à l’image de ce qui se pratique dans le secteur privé. Elle sera ouverte aux seuls agents ayant une rémunération brute globale inférieure à un plafond, qui sera fixé ultérieurement. Mais « il pourrait être de deux Smic« , a précisé le secrétaire d’État aux Echos, soit 3 042 euros brut par mois, l’objectif énoncé étant de « se concentrer sur les contrats les plus précaires », mais aussi de limiter la dépense publique.
Coût estimé de cette mesure ? 400 millions d’euros par an, pour une entrée en application en 2021 (pour les CDD « conclus à partir de janvier »). Selon le gouvernement, 180 000 à 200 000 agents remplissent ces conditions chaque année, principalement à l’hôpital et dans les collectivités locales.
Pas de quoi modifier l’opposition unanime des syndicats au projet de loi, qui élargit les possibilités de recours aux contractuels. Mais certaines organisations réformistes saluent le geste, qui comble un vide criant. Les contractuels de la fonction publique, dépendant d’un régime de droit public distinct du code du travail, n’ont pas droit à une indemnité de fin de contrat quand leur CDD n’est pas renouvelé. Contrairement à tout salarié en CDD du privé.
« C’est une garantie nouvelle pour les agents contractuels, et une mesure qui devrait pousser les employeurs à limiter leur recours au contrat court », reconnaît Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques. Mais elle déplore un dispositif « largement insuffisant » : « il devrait concerner tous les agents en CDD, comme nous l’avions proposé, et n’améliore pas leurs conditions d’emploi. Limiter réellement la précarité passe par l’instauration d’une durée minimale de travail hebdomadaire ou des CDD, à 18 mois comme dans le secteur privé ».
« Le gouvernement prétend moderniser la gestion de la fonction publique en s’inspirant du privé, mais limite l’application de la mesure qui est à l’avantage des agents. Cette prime devrait concerner tous les agents en CDD, courts ou non », renchérit Luc Farré, patron de l’Unsa Fonction publique, pour qui cette mesure « ne change en rien la philosophie du projet de loi ».
L’extension des possibilités de recours au contrat, et donc à des contractuels bénéficiant d’un régime de droit public moins favorable que celui des fonctionnaires (en matière de rémunération, carrière, retraite), est l’une des dispositions les plus emblématiques du projet de loi. Il prévoit notamment que les postes d’encadrement dans toutes les catégories – A, B et C – soient ouvertes aux non-fonctionnaires, et crée un « contrat de mission », d’une durée d’un à six ans maximum, à l’issue duquel l’agent ne pourra passer en CDI ou être titularisé. Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui pour les agents en CDD : au-delà de six ans, ils disposent obligatoirement d’un CDI. Tout nouveau de plan de titularisation d’agents contractuels, le dernier s’étant éteint en mars 2018, a été écarté par le secrétaire d’Etat.
De quoi alimenter l’inquiétude des syndicats, alors que le nombre de contractuels, aujourd’hui majoritaires dans les recrutements, ne cesse de grimper. Ils sont passés de 900 000 à 1 million entre 2011 et 2017, et leur part au sein des agents de droit public a augmenté de 16% à 17,9%, voire 19% dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières. Dans ce contexte, faut-il lire la création de la prime de précarité comme une volonté de lâcher du lest ?
Pas vraiment pour Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, spécialiste des transformations du secteur public en Europe et de la réforme de l’État, « elle est plutôt un moyen de réaffirmer qu’il n’y aura plus de virage statutaire. Le gouvernement signe par là sa détermination à maintenir la réforme, pour donner plus de souplesse aux employeurs publics. Elle marque un changement de cap clair, en rationalisation, avec cette disposition et d’autres, le droit contractuel de la fonction. »
Mais ce n’est pas la seule inflexion majeure pour le chercheur, qui voit dans l’élargissement du recours aux contractuels pour occuper des emplois de direction dans la fonction publique d’État « une bombe à retardement », pour des corps comme ceux des administrateurs civils ayant vocation à occuper des emplois de sous-directeur et de chef de service. Et qui, demain, seront confrontés à la concurrence de candidats extérieurs. Un autre coup de boutoir contre l’ENA, dont la réforme a été annoncée par le chef de l’État.