La CFDT face aux enjeux de la crise du Covid-19. Questions à Laurent Berger
La CFDT a été très présente aux côtés des personnels et sa voix a été entendue. Petit tour d’horizon par Laurent Berger sur les actions engagées dans les premiers mois de crise sanitaire et les chantiers à venir.
La CFDT face à la crise du Covid-19, d’hier à demain. Son secrétaire général, Laurent Berger, s’exprime sur les actions menées, les écueils à éviter et l’enjeu qu’il y a à persévérer dans le combat syndical pour que vive une démocratie respectueuse du dialogue social.
Cet entretien a paru dans le dossier « Déconfinement : le combat continue » du no 275 (mars-avril-mai 2020) de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Quel mot vous vient spontanément à l’esprit pour caractériser la manière dont vous avez vécu cette crise ?
Mobilisé ! C’est ce mot qui me vient spontanément. Il qualifie l’état d’esprit de toute la CFDT depuis le début de la crise du Covid-19, concentrée sur son utilité auprès de tous les travailleurs. À titre personnel, je suis heureux d’avoir passé un peu plus de temps avec les miens (sourire)
Au vu des différentes catégories de travailleur·se·s (en première ligne ; en télétravail ; celles et ceux dont l’activité a été arrêtée), avec toutes les conditions de travail (ou d’impossibilité de travailler) que cela a impliqué, quelles ont été les actions de la CFDT ? Comment le syndicalisme à distance a-t-il fonctionné ? Quels sont les enseignements ?
Depuis le congrès de Rennes, nous avons mis en place des outils pour accompagner les militants CFDT avec le développement de l’ARC (accompagnement,ressources, conseils). Ils ont montré leur pertinence et leur utilité. Mais très vite nous avons étoffé notre dispositif de soutien en créant une boîte mail dédiée à la crise, une boîte Covid sur laquelle les travailleurs, qu’ils soient adhérents ou pas, peuvent déposer leurs interrogations, témoigner de leurs situations. La maison CFDT s’est mise en mouvement pour répondre le plus rapidement possible à toutes ces sollicitations. Les militants des fédérations et des unions régionales, les juristes, les élus de personnel… tous ont contribué. Cette réactivité et cette spontanéité pour se mettre au service des salariés et des agents font partie de mes fiertés du moment. Toutes ces réponses ont alimenté une Foire aux questions hébergée sur le site Cfdt.fr. Elle a enregistré plus de deux millions de connexions ! Ces remontées du terrain ont permis d’interpeller le gouvernement et d’obtenir des avancées. Je peux en citer quelques-unes comme la suspension du jour de carence dans les fonctions publiques, la prise en charge de cas de démissionnaires par l’assurance chômage, la prime de solidarité au 15 mai pour les ménages les plus modestes… La liste est longue.
Avec la crise sanitaire qui a déclenché une crise économique, ne faudra-t-il pas être d’autant plus attentif face à des tentations liberticides au nom de la sécurité et « socialicides » au nom de la reprise économique ?
Attention aux mots fourre-tout. La CFDT est très claire : aucune mesure mise en place de façon exceptionnelle dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire ne doit perdurer.
Je parle bien sûr de celles qui concernent les libertés individuelles : la liberté de circulation, de se rassembler… Rappelons qu’en 2015, des mesures ont été prises par l’État sur lesquelles il n’est jamais revenu. Nous devons être très attentifs aux coups de canif donnés à notre démocratie. Ces dispositions, que nous ne remettons pas en cause dans des situations exceptionnelles comme celle que nous traversons avec la crise sanitaire, doivent absolument être limitées dans le temps. À la minute même où l’état d’urgence sanitaire s’arrêtera, elles devront disparaître.
Mais ce qui est vrai pour les libertés individuelles l’est tout autant pour des dispositions qui restreignent le droit social ou le droit syndical. Elles doivent absolument tomber avec la fin de l’urgence sanitaire. C’est le cas par exemple de la réduction des délais d’information-consultation des CSE qui a concerné la reprise d’activité. Pour la CFDT, il est clair que l’exigence de sécurité ne peut restreindre durablement les libertés et la capacité d’une société à délibérer largement.
Quels vont être les grands dossiers de demain pour la CFDT ?
Demain, c’est déjà aujourd’hui. Le premier dossier auquel nous devons faire face dès maintenant, c’est la situation de l’emploi. Nous avons perdu beaucoup trop de temps. Depuis des semaines, la CFDT réclame que tout le monde se mette autour de la table pour inventer de nouvelles façons de soutenir et accompagner les centaines de milliers de travailleurs qui risquent de perdre leur boulot. Nous allons devoir faire preuve d’imagination et ne pas répéter inlassablement les vieilles recettes. Notre première responsabilité sera d’abord de nous soucier des plus fragiles. Il faut abandonner la réforme de l’assurance chômage, élargir le RSA à destination des jeunes qui vont avoir du mal à s’inscrire sur le marché du travail, imaginer un dispositif pour le paiement des loyers…
Et puis, nous devons tout faire pour éviter les suppressions d’emplois, filière par filière, entreprise par entreprise avec un objectif en tête : travailler tous et travailler mieux. Dans cette période de relance, nous devons favoriser les formations pour conserver les compétences dans les entreprises. Il y a là un double enjeu économique et social. Et pour cela, je ne connais pas de myriades de solutions. Il y en a une. Elle s’appelle le dialogue social. Nous devons en faire une condition à la distribution des aides aux entreprises ou du soutien aux administrations. Les réponses seront multiples selon les situations de tel ou tel secteur mais la méthode doit être la même : le dialogue social ! Et malheureusement ce n’est pas ce qui illustre le plus les fonctions publiques dans cette période.
Cette crise permet-elle de confirmer la nécessité de changer de modèle (évolution amorcée par le Pacte du pouvoir de vivre) ?
Bien sûr. Elle confirme la nécessité de changer pour un modèle plus juste et plus respectueux de l’environnement. C’est le sens des 66 propositions échafaudées il y a un an par les 55 organisations du Pacte du pouvoir de vivre. Elles sont nées de compromis entre nous et nous les avons revisitées au regard de la crise actuelle. C’est cette méthode qu’il faut généraliser. Je ne crois pas au monde d’après pour lequel nous aurions chacun de notre côté toutes les réponses. Prenons le temps de poser un diagnostic partagé en faisant un pas de côté. Arrêtons de nous focaliser sur les données financières et économiques. Elles sont importantes mais elles ne donnent qu’une vision partielle de la société. Utilisons de nouveaux indicateurs qui prennent en compte l’éducation, la santé, le partage des richesses, la biodiversité…
Comment voyez-vous l’avenir du dialogue social ? N’est-ce pas l’un des grands enjeux de demain pour la démocratie et le progrès social ?
C’est une des grandes leçons de la crise que nous traversons. Nous voyons bien que les espaces de travail les mieux préparés à la reprise d’activité sont également ceux qui avaient déjà une habitude de dialogue.
C’est vrai dans le privé, les exemples des sites de Toyota et d’Amazon situés à quelques dizaines de kilomètres l’un de l’autre sont parlants. D’un côté une entreprise qui a fait du dialogue social une de ses marques de fabrique et qui a redémarré son activité sans secousse. De l’autre, une direction qui a un temps voulu passer en force, a dû fermer ses entrepôts avant, et c’est la morale de l’histoire, d’accepter de discuter avec les organisations syndicales. On voit bien de quel côté se trouve la recherche d’équilibre entre les enjeux économiques et sociaux.
Mais c’est également vrai dans le public. Quand les échanges avec les représentants des enseignants, des associations de parents et des agents des collectivités ont été réels, la réouverture des écoles s’est bien passée. Rien ne se fera sans dialogue. Au travail comme dans la société. Le gouvernement serait inspiré de tirer cette leçon de la crise. Mais pour cela il faut des acteurs responsables et engagés. Et parfois, il faut bien l’avouer, la CFDT n’est pas toujours bien accompagnée.
Illustrations
Laurent Berger © Virginie de Galzain