Erasmus sacrifié au profit de la relance européenne (Le Point 23/7/20)
VIDÉO. Le monde universitaire s’inquiète après la décision des Vingt-Sept de réduire les financements du programme d’échanges d’étudiants et de professeurs.
« Il n’y a pas un seul universitaire qui puisse se réjouir de cette décision » confie, désolé, André D. Robert, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université Lyon-2 et membre du laboratoire « Éducation, cultures, politiques ». Au terme de longues négociations à Bruxelles sur le plan de relance post-Covid, les 27 États membres se sont entendus, ce mardi, sur un budget de long terme (2021-2027). Et Erasmus paye, pour partie, les pots cassés.
Dans les faits, le budget de 21,2 milliards d’euros alloué au célèbre programme d’échange – qui a bénéficié, depuis sa création en 1987, à près de 10 millions de personnes dans 34 pays – est supérieur aux années précédentes (14,7 milliards sur la période 2014-2020). Mais il est bien en dessous des 24,6 milliards d’euros que la Commission européenne espérait obtenir.
Des « dépenses prioritaires »
Et parce que le monde de la recherche est aussi touché par cette fonte du budget – le secteur accuse une chute de 13,5 milliards à 5 milliards –, les jeunes sont perçus comme les victimes collatérales de la relance économique. Une « grave erreur », pour Patrick Martin-Genier, spécialiste de l’Europe et professeur à Sciences Po. « On ne peut sacrifier la jeunesse pour réparer l’Europe après une crise sanitaire, sociale et économique, quand l’éducation des jeunes adultes est précisément le secteur d’avenir. On sacrifie des dépenses prioritaires sur l’autel de l’austérité », réagit-il.
Quel message envoie, aussi, ce plan de relance au supérieur, quand « l’internationalisation et la mobilité étudiante sont aujourd’hui les enjeux majeurs des politiques universitaires » ? renchérit André D. Robert. « La coopération interuniversitaire et les projets communs qui en découlent revêtent une signification importante pour les établissements et plus largement pour l’Union européenne », déplore le chercheur.
Valeurs européennes
Sans compter qu’Erasmus est un programme à haute valeur symbolique pour les étudiants et apprentis, qui témoignent généralement d’expériences extrêmement positives. Et déclarent même, pour 83 % d’entre eux, se sentir « plus européens » à leur retour.
La Commission européenne reconnaît ces bénéfices – en 2018, Bruxelles avait proposé de doubler le budget alloué au programme d’échange. De ce fait, la révision 2020 à la baisse est perçue comme un « camouflet », qui créera inévitablement « un malaise institutionnel », prédit Patrick Martin-Genier.
De fait, si le Parlement est « très satisfait » du plan adopté mardi, comme l’indique son président David Sassoli, ce dernier n’a pas traîné pour épingler ces baisses de budget. Lors d’une conférence de presse donnée ce mercredi, il évoquait des « coupes budgétaires injustifiées » et déclarait : « Nous ne pouvons pas réduire le budget pour la recherche et les jeunes et Erasmus, c’est impossible. »
Rite initiatique
« Cette coupe doit nous alerter », abonde André D. Robert. En effet, si le budget consacré au programme d’échange demeure important, de moindres moyens entraîneront fatalement une réduction des projets et des étudiants ou des apprentis bénéficiaires. « Une perte extrêmement dommageable » pour ceux qui devront renoncer à ce qui est pour beaucoup devenu un rite initiatique. Cent mille Français ont bénéficié du programme Erasmus depuis sa création, plaçant l’Hexagone comme le premier pays européen envoyant ses étudiants à l’étranger, avant l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.