Laurent Berger, sur la réforme des retraites : « Nous avons l’art de nous tromper de débat »
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, alerte sur la réforme des retraites. Selon lui, il ne faut pas « tromper les Français sur les objectifs poursuivis ».
le journal du Dimanche – 12 octobre 2019
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT appelle à des mesures pour « un système de retraite plus juste » : « Si notre démocratie ne fonctionne pas toujours bien, c’est que nous avons l’art de nous tromper de débat. La réforme des retraites pourrait bien ne pas faire exception à la règle.
Notre système de retraite a montré sa capacité à lutter contre la pauvreté des seniors, et à surmonter crises économiques et chocs démographiques. Il doit pourtant évoluer pour répondre aux aspirations nouvelles des travailleurs, et la CFDT milite en ce sens depuis longtemps. Mais il faut veiller à ne pas tromper les Français sur les objectifs poursuivis.
L’enjeu de la réforme n’est pas financier. Les dépenses de retraites sont désormais maîtrisées et elles évolueront à l’avenir comme la richesse nationale. Nous avons donc les moyens de financer nos retraites. Mais si la retraite par répartition est aujourd’hui consolidée sur le plan économique, le contrat social sur lequel elle repose est fragilisé par les injustices, réelles, de notre système. Nos régimes de retraite fabriquent aujourd’hui des gagnants et des perdants, et de façon un peu aveugle, ce qui menace à terme le consentement à la répartition.
Les différences privé-public ne sont pas en cause, ni les régimes spéciaux dont la convergence avec le régime commun est largement avancée. Personne ne conteste l’existence de spécificités professionnelles dès lors que leur financement est assumé par l’employeur. Mais le mode de calcul des droits n’est globalement pas juste. Il pénalise les polypensionnés, survalorise les carrières « ascendantes », avec beaucoup de promotions et défavorise celles, plus étales, des travailleurs les moins qualifiés, les moins rémunérés, les plus précaires. Il accroît enfin les discriminations que subissent les femmes dans leur entreprise ou leur administration.
Notre système de retraites ne reconnaît pas correctement la pénibilité du travail et son impact sur la santé et l’espérance de vie, dans le public comme dans le privé. Ceux qui dégradent leur santé en travaillant perdent ainsi une partie de leurs droits à la retraite. Le système doit en tenir compte, sinon le contrat social ne sera pas équitable aux yeux des moins favorisés des travailleurs. Le système universel de retraite doit inclure un dispositif de reconnaissance de la pénibilité du travail, complet, universel d’accès et débouchant sur de la prévention et de la réparation.
Il faut enfin être plus solidaire de ceux qui peinent à entrer dans la société du travail parce qu’ils sont exclus, précaires, discriminés. Parmi eux se trouvent encore les femmes, les jeunes actifs, les travailleurs âgés peu ou mal qualifiés. C’est pour eux que la CFDT revendique un minimum de pension revalorisé à 100% du SMIC.
Mais la réforme n’aura pas de sens si elle ne transforme pas notre rapport à la retraite. Après tant de discours culpabilisants sur la retraite, il nous faut inventer des droits nouveaux qui redonnent aux travailleuses et aux travailleurs la liberté de construire leur retraite.
Cela suppose de ne plus pénaliser les polypensionnés, ceux qui, par contrainte ou par choix, ont changé de métier ou de secteur au cours de leur carrière, ou encore ceux qui demain passeront du statut de salarié à celui d’indépendant. C’est le sens premier de la retraite universelle.
Les travailleurs ne doivent plus subir la « retraite couperet » mais mieux choisir l’âge et les modalités de leur départ. C’est pour ça que la CFDT récuse l’idée d’un âge de départ collectif, injuste et inutilement contraignant. Il faut faciliter le droit de partir progressivement à la retraite, pour gagner ainsi la possibilité d’aménager soi-même sa fin de carrière.
Puisqu’on a pointé les discriminations que subissent les femmes, il leur faut des droits garantissant leur émancipation, donc des droits propres plutôt que des droits liés à une situation familiale ou conjugale. La CFDT plaide pour des majorations pour enfant qui profitent vraiment aux femmes dès le premier enfant. Elle plaide aussi pour une réversion qui ne soit plus seulement un droit sur la pension du conjoint, mais d’abord un droit à pouvoir vivre dignement à la retraite.
Et puisqu’il y a une vie avant la retraite, la CFDT demande qu’on pose la question de l’accès au temps libre tout au long de la vie. C’est le principe de la banque des temps que nous portons : chacun doit avoir du temps au moment où il a un projet sans attendre la retraite pour le réaliser !
Voilà ce qui à nos yeux constitue les enjeux de la réforme des retraites. Une telle réforme demandera du temps et se fera progressivement, mais cela peut constituer un beau projet collectif. Les travailleurs que nous rencontrons tous les jours sont prêts à cette discussion, ils en sont même demandeurs. Ne nous trompons pas de réforme, ne les privons pas d’un débat essentiel.