Retraites : le gouvernement doit s’engager pour tous les fonctionnaires
Si certains personnels de la fonction publique seront gagnants avec la réforme des retraites, les choix du gouvernement pénalisent fortement une majorité d’agents plus fragilisés.
Libération – 28 février 2020
Tribune cosignée par la secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques et les secrétaires généraux des fédérations CFDT de la Fonction publique
La CFDT est favorable depuis longtemps à un système universel de retraites qui tienne compte des parcours et non du statut, et qui ouvre des droits dès le premier euro cotisé. Aujourd’hui, clairement, les objectifs de justice sociale et de redistribution qui sont les nôtres ne sont pas satisfaits. Si le gouvernement a accepté d’ouvrir des discussions sur la retraite progressive, sur la pénibilité et sur les transitions, on est encore très loin des mesures concrètes indispensables pour un système socialement juste et équitable.
Et un sujet reste tabou : c’est la question des rémunérations dans la fonction publique que l’on ne peut plus taire tant la modification de l’assiette des cotisations vient la percuter.
Calculer la retraite sur l’indice détenu par les fonctionnaires six mois avant leur retraite, même en y ajoutant une part de primes (dans le cadre du régime additionnel créé en 2003), est bien différent d’un calcul sur la totalité de la rémunération, où chaque euro est cotisé tout au long de la vie professionnelle.
On peut se le dire, certains fonctionnaires attendent cette réforme et y seront gagnants : ce sont toutes celles et tous ceux qui ont des niveaux de primes importants.
Mais beaucoup – une majorité même – ont des niveaux de primes faibles, voire inexistants. Parmi eux, les enseignants, mais aussi de nombreux autres personnels de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur, des ministères, des établissements publics (dont La Poste), des collectivités territoriales, des établissements publics de santé sanitaires et sociaux… Un état des lieux précis mériterait d’être porté à la connaissance des organisations syndicales et du public, évitant ainsi toutes les supputations et projections erronées.
La question des rémunérations des enseignants et enseignants-chercheurs est renvoyée à une loi de programmation. On sait les débats ouverts par cette disposition, débats juridiques qui ont occulté – ou ont voulu occulter – l’engagement politique du gouvernement à revaloriser les rémunérations de plus d’un million d’agents publics.
La CFDT se refuse à rejeter en bloc ces ouvertures, à nier l’engagement qu’elles représentent. Le ministère de l’Éducation nationale propose par exemple une revalorisation sous forme d’une prime versée sans condition pour les agents en première moitié de carrière, compensant partiellement la fin des fameux «six derniers mois». D’autres pistes telles que l’augmentation du nombre d’heures supplémentaires rappellent furieusement le «travailler plus pour gagner plus». Celles-là ne peuvent certainement pas être considérées comme une revalorisation.
Cet exemple montre les limites imposées par les impératifs budgétaires que se fixe le gouvernement : saupoudrage, multiplication des objectifs et oubli des nombreux agents, trop souvent invisibles, qui assurent des missions «support» indispensables à l’exercice de toute mission – les personnels administratifs, les personnels techniques, les personnels de services (restauration collective, ménage…). Et mise à l’écart des filières les plus féminisées, souvent aussi les moins reconnues : celles du soin, de l’aide aux personnes, de l’accompagnement vers l’émancipation (petite enfance, accompagnement social, animation, culture…).
Le projet de loi comporte une autre disposition qui, celle-là, concernerait tous les agents… qui ont des primes : la totalité des primes seraient intégrées à l’assiette de cotisation dès le 1er janvier 2025 mais les cotisations ne monteraient en charge que progressivement. C’est indéniablement une mesure positive pour celles et ceux dont les parts indemnitaires sont importantes.
Ces choix du gouvernement pénalisent fortement les agents les plus fragilisés, car un faible niveau de rémunération est souvent la conséquence d’un faible niveau de qualification, cause d’un faible niveau de primes. Comme pour l’âge pivot, le gouvernement propose une redistribution à l’inverse de celle que la CFDT revendique.
Ce n’est pas le sens de la justice sociale ni celui de la redistribution auxquelles la CFDT est attachée et pour lesquelles nous nous employons à défendre nos propositions. Depuis 2010, au fur et à mesure de nos travaux internes, depuis 2017 et l’annonce d’une réforme systémique des retraites dans le programme du candidat Macron, depuis 2018 dans le cadre des travaux du HCRR, depuis fin 2019 avec l’obtention du retrait de l’âge pivot et des propositions d’amendements au projet de loi examiné par le Parlement.
Garantir un niveau de pensions digne, cela passe par des mesures concrètes. La CFDT en revendique au moins deux :
UN : l’instauration d’une «clause de sauvegarde» qui garantirait qu’aucun agent ne perçoive un montant de pension inférieur à celui calculé dans l’actuel système, sauvegarde concernant les agents peu ou pas «primés».
DEUX : une négociation sur les rémunérations et leur composition et sur les carrières dans la fonction publique, en matière de niveau et d’évolution tout au long de la carrière.
Aujourd’hui, c’est bien pour tous les agents de la fonction publique que le gouvernement doit s’engager.
Signataires :
Mylène Jacquot (CFDT Fonctions publiques), Claire Le Calonnec (Interco), Eve Rescanières (Santé-Sociaux), Catherine Nave-Bekhti (Eduction nationale ; Sgen), Bruno Lamour (Enseignement privé ; FEP), Denis Grégoire (Finances), Fabien Guimbretière (Agroalimentaire ; FGA), Jérôme Morin (Communication, conseil, culture ; F3C), Philippe Berhault (Protection sociale, travail, emploi ; PSTE), Edgar Stemer (Transports et équipement ; FGTE), Sophie Morin (Défense).