Eurogroupe : le dialogue a porté ses fruits
Face à la gravité de la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19, l’Union européenne se devait d’être au rendez-vous pour traduire dans les faits la solidarité européenne. Des mesures d’urgence ont été prises, notamment par la Commission et la BCE, afin de coordonner l’action des Etats membres, d’abord partis en ordre dispersé. Des fonds disponibles ont été mis sur la table, des règles de circulation des marchandises établies pour éviter la fermeture totale des frontières, le Pacte de stabilité suspendu pour permettre aux Etats de débloquer des fonds importants pour combattre la crise, la BCE intervient massivement sur les marchés pour éviter l’envolée des taux d’intérêts appliqués à certains pays. Mais il fallait aussi une action d’envergure de l’ensemble de l’UE afin de franchir un pas décisif qui permette à tous les pays de disposer d’un soutien effectif et rapide dans l’immense effort qu’ils consacrent pour pallier les effets de la crise.
C’est pourquoi une négociation entre Etats-membres, et d’abord entre ceux qui appartiennent à la zone Euro (l’Eurogroupe), s’est engagée. Après de très longues discussions le 7 avril, prolongées dans la nuit jusqu’au matin du 8, la négociation a repris le 9, pour aboutir à un accord.
Le fruit des négociations
La négociation a été difficile, mais elle a fini par aboutir à un compromis qui permet de faire jouer la solidarité européenne. Ce compromis doit être officiellement validé le 23 avril par le Conseil européen, qui rassemble les chefs d’Etat et de gouvernement. Rappelons que l’Eurogroupe, qui rassemble les Ministres de l’économie des pays de la zone Euro, n’est pas une instance décisionnelle. Le Conseil devrait approuver l’accord sans problème, le soutien des pays hors Euro (en particulier le Danemark et la Suède) semble acquis.
Ce sont 500 milliards d’Euros qui seraient disponibles immédiatement, à prélever dans trois enveloppes :
- 100 dans le dispositif SURE pour aider les pays à financer le chômage partiel. Ce dispositif, récemment proposé par la Commission européenne, doit permettre le déblocage de prêts aux pays qui mettent en place des mécanismes de chômage partiel ou des équivalents, afin de favoriser leur généralisation…
- 200 dans un fonds de garantie pour les entreprises, au travers de la BEI (Banque européenne d’investissement). Il s’agit là aussi d’un mécanisme de prêts pour aider les pays à venir en aide aux entreprises confrontées à des difficultés du fait de la crise sanitaire.
- 240 dans le MES (Mécanisme européen de stabilité). Ce fonds de 410 milliards, avec une capacité d’emprunt pour le porter à 700, a été créé (dans la douleur …) en 2012 pour faire face à la crise des dettes souveraines. Normalement le recours au MES est assorti de fortes conditionnalités sur la réduction des déficits et la conduite de réformes structurelles. Ainsi la Grèce a-t-elle été soumise à une réduction brutale des dépenses publiques, avec entre autres des coupes sombres dans la protection sociale et les services publics, ainsi qu’à de fortes réductions de salaires, la remise en cause de mécanismes de dialogues social, … Ces conditionnalités constituaient le point de blocage des récentes négociations, l’Italie et l’Espagne (qui n’avaient pas eu recours au MES en 2012), refusant de subir le même sort que la Grèce. C’est ce blocage qui a été levé, en convenant que, exceptionnellement, la seule conditionnalité qui sera appliquée porte sur l’utilisation des fonds, qui doivent être exclusivement destinés à des actions sanitaires (coûts directs et indirects) destinées à combattre l’épidémie. Le recours à cette ligne est plafonné pour chaque pays à 2% de son PIB (ce qui, pour l’Italie, représenterait dans les 38 milliards d’Euros). L’accord précise également que les pays ayant recours au MES devront respecter les règles du Pacte de stabilité, y compris avec ses assouplissements. Il s’agit des fameux « critères de Maastricht », notamment les plafonds du déficit budgétaire à 3% du PIB et de la dette à 60%, avec des règles pour ramener au plus vite dans la norme les pays qui ne respecteraient pas ces critères. Ces règles ont été cependant assouplies au cours des dernières années, en autorisant des écarts pour causes exceptionnelles et/ou au vu de la tendance observée.
Enfin, il a été convenu qu’un fond de relance économique serait créé par la suite pour soutenir l’activité quand la crise sanitaire sera passée. Le montant évoqué est de 500 milliards supplémentaires. Mais rien n’est précisé sur la forme, les modalités de recours, les conditionnalités éventuelles, …
Par contre, les Pays-Bas et l’Allemagne ont réaffirmé qu’ils refusaient de mettre en place des instruments de dette commune type Corona-bonds ou autre. Il s’agit d’un refus de principe, mais dans les faits, les mécanismes acceptés reviennent bien à créer de la dette mutualisée. Chacune des trois enveloppes définies correspond en effet à un fonds pouvant emprunter sur les marchés, sous la garantie de l’ensemble des Etats-membres, et pouvant prêter à taux réduit aux pays qui en ont besoin.
Les déclarations de principe apparaissent plutôt comme des avertissements pour signifier que ces pays n’iront pas plus loin et qu’ils refusent de s’engager dans une mécanique générale de mutualisation. En effet, le ciblage étroit des outils mis en place et les conditionnalités assorties pour leur utilisation, visent à empêcher l’extension d’une telle mécanique. Y compris dans le temps (pour l’heure, on s’en tient à la durée de la crise sanitaire). Même si les cibles s’élargissent et les conditionnalités s’assouplissent de plus en plus.
Par ailleurs, le respect du Pacte de stabilité, y compris avec les assouplissements autorisés, s’impose déjà à tous les pays de la zone Euro. Il s’agit donc en fait d’une simple « piqûre de rappel ». Sachant qu’une consultation sur la révision de ces règles est également en cours.
Cependant la bataille pour un fonds mutualisé de relance s’annonce rude. Le risque est grand du retour, une fois la crise sanitaire passée, d’une politique de restriction budgétaire. Ce qui produirait les mêmes effets qu’en 2010 : stagnation économique, crise sociale, divergence des économies européennes, nouvelles poussées populistes, …
Une victoire de l’Europe
Mais ne soyons pas défaitistes. L’intérêt commun européen vient de remporter une victoire. Il n’est pas dit qu’elle n’en remportera pas d’autres. Par rapport au traitement de la crise de 2008-2010, le changement est spectaculaire. L’humain a été mis en avant, y compris devant l’économie. L’UE a pris des décisions finalement assez rapidement, et apparemment efficaces. Visiblement, des leçons ont été tirées des difficultés passées.
Bien sûr, tout n’est pas gagné, de multiples difficultés subsistent et des chausse-trappes risquent à tout moment de faire trébucher l’Europe. L’union reste un combat. Soyons raisonnablement optimistes, réjouissons-nous du grand pas qui a été franchi, et soyons vigilants et mobilisés pour la suite.
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