LPPR : Audition de la CFDT à l’assemblée le 1er septembre 2020
Audition Assemblée Nationale 1er septembre
Cela fait longtemps que le Sgen-CFDT réclamait une loi de programmation pour la recherche pour permettre de donner une véritable visibilité budgétaire pluriannuelle aux laboratoires, et favoriser ainsi l’engagement de recherches sur le moyen et long terme, qui seuls pourront fonder véritablement les innovations de demain.
Pour la CFDT , cette loi doit aussi être l’occasion d’investir dans la recherche pour répondre aux grands défis sociétaux : environnementaux, climatiques, numériques, économiques, et bien sûr de santé. Cela doit être l’occasion de redonner à la recherche et aux chercheurs la place qui est la leur, pour ramener la raison dans des débats où hélas trop souvent les croyances et la superstition ont remplacé les connaissances scientifiques. La crise pandémique que nous traversons, rend plus vrai que jamais ce besoin.
Nous avons salué le périmètre des discussions qui a prévalu lors de la concertation sur le projet de loi qui englobe aussi bien la recherche dans les universités et autres EPSCP que dans les EPST et les EPIC. C’est en reliant ces trois piliers de la recherche française que l’on pourra véritablement rendre effectives des stratégies nationales.
Nous regrettons cependant que le projet de loi traduise si peu ces discussions concernant les EPIC. Nous serons amenés à vous formuler des propositions.
J’en viens maintenant au projet qui nous est soumis.
Pour la CFDT, l’un des premiers points de vigilance correspond au montant de l’enveloppe globale et à la durée de la programmation. L’objectif des 3 % du PIB (dont 1 % pour la recherche publique) est certes affiché.
Sur l’enveloppe globale :
Cet objectif a été réaffirmé par la stratégie de Lisbonne en mars 2000 (horizon 2010) mais il était déjà présent dans un ouvrage du Commissariat général au Plan édité en 1964 pour l’horizon 1985. Cet objectif est donc à nouveau repoussé à la décennie d’après 2030 !
Pourtant, le rapport annexé (p. 4) cite les pays qui ont d’ores et déjà atteint ou dépassé les 3% : c’est le cas de l’Allemagne (3%), du Japon (3,2%) ou de la Corée du Sud (4,5%). Ces mêmes pays visent désormais des objectifs supérieurs (respectivement 3,5%, 4% et 5%).
Si l’on considère les annonces récemment faites par l’Allemagne, même si toutes les comparaisons internationales ont leurs limites, et l’effort supplémentaire qu’elle prévoit en matière de recherche pour l’après Covid19, les « ambitions » affichées par la France via cette LPPR nous paraissent insuffisantes pour répondre aux enjeux des transitions indispensables à réaliser.
Par ailleurs, même si nous savons bien qu’il s’agit d’une loi de programmation pour la recherche, la CFDT regrette qu’il ne soit pas fait mention du lien Formation/Recherche. Le décrochage de l’enseignement supérieur (sous encadrement chronique, démographie étudiante, conséquences de la crise sanitaire en matière d’accueil et de pédagogie, etc.) obérera inévitablement la capacité de recherche.
Concernant la programmation en elle-même, la CFDT demande qu’un effort plus important soit affiché. Nous devons tirer de la crise sanitaire que nous connaissons au moins deux leçons :
1. nous n’étions pas prêts car de nombreux projets de recherche sur les coronavirus et plus largement sur les questions de santé publique ont été sous financés voire stoppés faute de financement. Cela n’est qu’une illustration de l’état de la recherche en France dans de nombreux laboratoires depuis de nombreuses années pour les équipes pourtant excellentes aussi, qui n’ont pas la chance d’être dans les heureux élus des AAP. Ce constat fait un large consensus.
2. l’impact de la crise se fait aussi sentir financièrement pour les établissements :
• des projets ont dû être stoppés voire abandonnés pour réorienter les recherches sur la crise sanitaire et participer à l’effort de toute la nation dans la lutte contre la COVID 19, cela a forcément un coût dont une grande partie est assumée par les établissements :
• des manipulations ont été stoppées entraînant des pertes financières pour les laboratoires et les établissements
• du matériel a été fourni aux personnels pour permettre le travail à distance, et dans le cas des universités, aider les étudiants (aide alimentaire, en matériel, et en possibilité de connexion) …etc.
Ainsi pour le CEA, pour prendre le cas d’un organisme de recherche, la crise génère une perte de recettes estimée à 120 millions d’euros.
Pour ces raisons, la CFDT demande que les montants annuels en particulier ceux des trois premières années soient revus à la hausse. Il n’est pas compréhensible que la LPPR enjambe la crise sanitaire et n’en tienne pas compte ! Cela est incompréhensible pour les agents de l’ESR mais cela est aussi incompréhensible par rapport aux besoins et aux enjeux que la crise sanitaire a révélé.
Par ailleurs, la CFDT demande que la programmation s’étale sur 7 ans et non pas 10 ans avec une enveloppe globale identique.
Pour entrer plus dans le détail :
Le programme 172 est le principal bénéficiaire de l’effort budgétaire du fait, principalement, des financements attribués à l’ANR donc via les appels à projet. Ce n’était pas une demande de la communauté scientifique qui n’est pas opposée par principe aux appels à projet mais souhaite un véritable rééquilibrage entre dotation de base et financement sur projets. La recherche n’a pas à payer les manques, les dysfonctionnements d’une décentralisation inaboutie qui prive l’état d’outils de contrôle légitimes sur la mise en œuvre des politiques publiques. Or pour la CFDT, l’utilisation massive et presque exclusive des AAP pour le financement de la recherche vient en substitution d’une réelle réflexion sur le rôle de stratège de l’État. Cela se fait au détriment de la Recherche publique, entre autres, en lui imposant un modèle de financement inadapté, qui a pour conséquence absurde de mobiliser sur une recherche de financement des chercheurs dont les compétences pourraient être bien mieux utilisées dans leur cœur de métier. Ce financement révèle aussi une défiance de l’État vis à vis des établissements publics de recherche.
Pour le programme 150, la programmation ne concerne que les incidences budgétaires qui découlent de la loi. Cela concerne essentiellement les mesures RH : revalorisations indemnitaires du personnel, revalorisation du début de carrière pour les MCF nouvellement recrutés, revalorisation et accroissement du nombre des contrats doctoraux, environnement des chaires de professeurs juniors, etc. Hormis la 1ère année, l’effort budgétaire consenti sur le programme 150 servira principalement à financer les nouveaux dispositifs RH prévus par la loi (cf. rapport annexé p. 40). Toujours selon le rapport annexé (p. 17 et p18), le montant de la revalorisation pour les personnels sera de 92M€ supplémentaire chaque année pendant toute la durée de la programmation. Cette revalorisation ne concernera que l’indemnitaire dans une perspective de convergence entre les différents types de personnels autour de 3 composantes : prime de base, prime de mission, prime individuelle. Il n’est pas prévu de revalorisation de l’indiciaire puisqu’il est considéré que les grilles ont été réalignées dans le cadre de PPCR (p. 17).
Pour la CFDT, il faut aller plus loin :
– revoir les grilles indiciaires pour les réaligner réellement
– revoir le montant de l’indemnitaire et sa répartition avec une part plus importante
consacrée au socle …
Nous espérons que les discussions en cours dans le cadre du protocole d’accord portant sur la revalorisation des carrières scientifiques vont permettre d’obtenir des améliorations sensibles.
Pour résumer, si l’effort financier est bien là, il n’est pas encore suffisant pour mettre fin au décrochage de la recherche française et revaloriser de façon satisfaisante les carrières scientifiques.
Mais au-delà de l’aspect financier, certains dispositifs sont rejetés par la majorité des agents : c’est le cas en particulier des chaires de professeurs juniors.
Ce dispositif est ressenti comme une véritable concurrence déloyale par les maîtres de conférences dans un contexte de contrainte forte sur le nombre de postes, certains bénéficieraient de charges d’enseignement moins importantes, laissant aux autres le soin de s’occuper d’une population étudiante en augmentation rapide. Il introduit aussi un nouveau statut donc multiplie les modes d’entrée dans la carrière d’agents qui pourtant, exercent le même métier. Cela va encore un peu plus complexifier un système de gestion des carrières qui est déjà fort complexe en France (l’agrégation du supérieur est une spécificité française par exemple). Pour la CFDT, ce dispositif risque aussi de créer des tensions très fortes dans des collectifs de travail déjà fortement soumis à la compétition, à la concurrence … et cela dans une dégradation constante des conditions de travail de tous les agents.
Là où il aurait fallu redonner de la confiance, desserrer les contraintes, faciliter la coopération … ce dispositif crée de la méfiance, de la tension, de la concurrence … La CFDT a proposé que ce dispositif soit remplacé par une augmentation du nombre des IUF juniors. Elle n’a hélas pas été entendue.
La question des CDI de mission est également un sujet de tensions : la CFDT a proposé à plusieurs reprises que la question des emplois liés aux financements sur projet soit réglée par la création de groupements d’employeurs qui permettraient de pérenniser les emplois et de conserver les compétences, tout en donnant de la marge d’action aux établissements. Cela permettrait aussi d’éviter un turn-over coûteux en temps de recrutement, de formation et psychologiquement très insécurisant pour les agents. Le dispositif tel que présenté par le PJL, ne répond pas aux besoins de la recherche qui nécessite un temps long, une stabilité des emplois.
En conclusion, si la CFDT reconnaît qu’un premier pas financier est fait, elle le trouve encore bien trop hésitant. Pour la CFDT, la recherche n’est pas une dépense mais un investissement pour faire face aux conséquences de la crise actuelle et des crises à venir, etpréparer un nouveau projet de société où l’humain est au coeur des politiques publiques. C’est pour cela que la CFDT, toute la CFDT, s’est investie dans les débats et les discussions sur la loi .
La CFDT, première organisation dans l’ESR tous personnels et tous types d’établissements confondus, a porté au CNESER des amendements pour faire évoluer le projet de loi. Un nombre important a été retenu par la ministre. Mais le texte qui est présenté par le gouvernement aux parlementaires ne répond toujours pas aux attentes de la communauté scientifique. La CFDT compte sur les débats parlementaires pour que des demandes fortes portées par la communauté scientifique soient enfin prises en compte.
document en pdf ici :
https://cfdt-recherche-epst.org/?attachment_id=19299