Télétravail : Des accords indispensables (CFDT 28 12 2021)
Par Claire Nillus— Publié le 26/11/2021 à 11h16 et mis à jour le 28/12/2021 à 08h26
Retrouvez le dossier complet : Les codes du monde nouveau
Mettre en place le télétravail, ce n’est pas seulement un transfert de tâches, c’est une organisation qui demande un cadre rigoureux. Encore un paradoxe sur ce mode de travail jugé plus souple, plus libre, plus modulable, ce dont témoigne le nombre d’accords négociés depuis le début de la crise sanitaire.
Le bureau loin du bureau soulève de nombreuses questions : combien de jours, quel remboursement des frais, quel équipement, quelle formation aux outils numériques mis à disposition, quelle formation pour les managers… ?
C’est aussi un casse-tête pour les assurances en cas d’accident du travail. Le travail isolé crée des risques nouveaux puisque la preuve de l’accident de télétravail repose uniquement sur les déclarations du salarié, lequel sera pris en charge moins facilement par les secours que s’il est entouré de ses collègues.
« Le travail à distance est un mode d’organisation qui repose sur le volontariat, la réversibilité et la confiance mutuelle. Mais les télétravailleurs ne sont ni des autoentrepreneurs, ni des indépendants, ni des travailleurs ubérisés », martèle Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cadres.
D’où l’importance de bien l’encadrer. Les employeurs l’ont compris : l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) relève qu’un quart des 96 500 accords d’entreprise signés en 2020 portaient sur le télétravail.
Clarifier les soupçons, éviter le flicage
Négocier un accord est indispensable afin de clarifier les soupçons générés par le développement de cette organisation de travail, les liens de subordination d’une part, l’autonomie du salarié d’autre part (le télétravailleur travaille-t-il vraiment ?). Un accord a donc vocation à éviter le flicage (lire ci-dessous), respecter la vie privée, garantir une qualité de vie en télétravail, préserver les collectifs de travail et aborder par le dialogue social toutes les situations vécues par les travailleurs.
C’est le sens de l’ANI (accord national interprofessionnel) du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail, qui tient compte à la fois du télétravail régulier (jours fixes), occasionnel (de temps en temps) et des circonstances exceptionnelles (pandémie, événements climatiques…). Le texte rappelle également que le télétravail ne peut pas être imposé par l’entreprise mais repose sur un double volontariat, celui du salarié et celui de l’employeur, un principe fondamental dans la mise en œuvre du travail à distance.
Définir clairement les activités éligibles
Un accord doit également permettre une équité de traitement entre les salariés. Parmi les points critiques que la CFDT voulait voir intégrer dans cet ANI, figure la nécessité de réfléchir aux organisations de travail en amont du passage en télétravail et en concertation avec les représentants du personnel afin de définir clairement quelles sont les activités éligibles au télétravail.
« C’est une réelle avancée : jusqu’ici, l’employeur décidait seul des postes éligibles ou non », souligne Catherine Pinchaut, secrétaire nationale CFDT responsable de la politique en matière d’organisation et de vie au travail. Même satisfaction pour la CFDT-Fonctions publiques, qui a signé en juillet l’accord-cadre relatif à la mise en œuvre du télétravail pour les trois fonctions publiques, instaurant le principe d’éligibilité au télétravail en fonction des activités et non plus des métiers. C’est un progrès pour beaucoup d’agents en souffrance parce qu’ils ne peuvent pas télétravailler quand le cadre, lui, est à distance (sondage Ifop 2020).
Inversement, tout accord doit entériner le principe de réversibilité : 100 % des gens doivent pouvoir revenir au bureau à temps plein s’ils le souhaitent, et la notion de flex office (absence de bureau fixe), qui essaime dans de nombreuses grandes entreprises, inquiète les salariés.
D’ailleurs, chez Thales, la CFDT a remis les pendules à l’heure : « En 2020, les risques psychosociaux ont explosé dans le groupe. Nous avons réussi à faire inscrire dans notre accord télétravail le droit pour le salarié de ne pas vouloir télétravailler et donc de ne pas signer d’avenant s’il ne l’a pas demandé ! », explique Anne Cognieux, secrétaire de l’inter-CFDT de Thales.
Prévenir les risques
Là encore, la pandémie a révélé la nécessité de protéger la santé des télétravailleurs : risques psychosociaux, sensation d’isolement, impossible déconnexion… « Il était bien difficile de repérer des signaux de détresse quand on ne croisait plus les personnes dans les couloirs ou à la machine à café », observe Jérôme Reytinat-Hardouin, délégué syndical d’Amadeus, dont les 4 000 salariés ont basculé en télétravail à 100 % pendant le confinement.
Par ailleurs, en 2020, les médecins ont constaté une explosion des TMS (troubles musculosquelettiques) chez les télétravailleurs : tendinites à l’épaule, au cou, au poignet. Mais aussi maux de dos, fatigue oculaire, jambes lourdes, problèmes digestifs… Les accords à venir doivent en tenir compte.
À cette fin, l’ANI 2020 préconise que le passage en télétravail fasse l’objet d’un entretien préalable entre le salarié et son supérieur pour mettre en place les modalités de sa mise en œuvre selon la situation de chacun. A-t-on la place de travailler au calme chez soi ? Des enfants en bas âge ? Peut-on travailler seul ? Quelle est la relation de confiance avec le manager ?
Autre point très important pour la CFDT : prévoir des clauses de revoyure et une commission de suivi de l’accord. Chez PSA, où le volontariat prenait des allures de « poussariat » pour 3 000 salariés, la CFDT a signé l’accord parce qu’il prévoyait une clause de revoyure dès octobre 2021.
BIG BOSS NE DOIT PAS ÊTRE BIG BROTHER
Pendant la crise sanitaire, les méthodes de « tracking » et autres logiciels de vidéosurveillance ont eu le vent en poupe. Comme leurs équipes n’étaient plus sous leurs yeux, de nombreux managers ont cherché les moyens de contrôler leurs troupes à distance : logiciels de captures d’écran, d’enregistrement des mouvements de frappe sur le clavier (keylogger) ou de la souris… Ce qui est totalement illégal si la surveillance est permanente. Rappelons qu’en France, l’utilisation de tels logiciels est très encadrée par les textes, et la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) veille au grain. Celle-ci vient d’ailleurs de réactualiser deux documents essentiels pour connaître les limites du contrôle et de la surveillance des salariés par leurs employeurs (www.cnil.fr/fr/les-questions-reponses-de-la-cnil-sur-le-teletravail) et de la collecte de données personnelles sur le lieu de travail (www.cnil.fr/fr/covid-19-questions-reponses-sur-la-collecte-de-donnees-personnelles-sur-le-lieu-de-travail).