Édito du 30 avril 2025
Refuser l’exil forcé des sciences : solidarité, oui, mais sans captation
Alors que les libertés académiques vacillent aux États-Unis sous les coups des conservatismes autoritaires, la France amorce une réponse prometteuse : accueillir les chercheurs menacés. Mais la solidarité ne doit pas masquer une logique de prédation intellectuelle. Soutenir les scientifiques, c’est aussi les aider à rester et à travailler chez eux.
Ô temps de la solidarité ! Face aux attaques répétées contre les libertés académiques outre-Atlantique — symbolisées par la brutalité des politiques trumpiennes — nos collègues américains ont besoin de plus qu’un simple élan de compassion. Ils ont besoin d’un soutien concret, éclairé, stratégique. Car ce qui est aujourd’hui en jeu, ce sont les fondements mêmes de la science : la rigueur du fait contre l’opinion creuse, la recherche libre contre la propagande.
En France, un ancien Président, redevenu parlementaire, propose la création d’un statut de « réfugié scientifique ». Une avancée notable, qui viendrait compléter le programme PAUSE, porté par le Collège de France, et qui permettrait d’accueillir les chercheurs persécutés pour leurs travaux. Ces intellectuels, souvent entravés ou réduits au silence par des régimes autoritaires, méritent refuge.
Mais soyons clairs : si cette proposition incarne une forme de progrès, elle ne doit pas devenir un alibi. Car soutenir nos confrères, c’est aussi leur permettre de continuer à travailler chez eux, sur leurs terrains, dans leurs laboratoires. Le monde scientifique ne saurait se permettre une hémorragie silencieuse de données, de projets et de connaissances produites localement. Le climat, la biodiversité, la santé publique : les grandes batailles planétaires exigent une recherche enracinée, à l’échelle mondiale.
Maintenir la recherche là où elle est produite, là où elle est utile, n’est pas un luxe : c’est un impératif. Résistons à la tentation mercantile de « recruter » des cerveaux exilés sous prétexte d’humanisme. La solidarité ne doit pas être une stratégie de captation. L’exil contraint ne fait pas progresser la science : il appauvrit les lieux d’origine et fracture l’écosystème global du savoir.
Aidons les scientifiques menacés à rester debout, chez eux. Donnons-leur les moyens de résister. C’est ainsi que nous serons véritablement solidaires, et que la liberté, la vraie, sera restaurée.
Pour conclure, rappelons cette phrase lumineuse de Condorcet, visionnaire de la République des savoirs : « On a vu l’Américain se soumettre tranquillement à des lois dont il avait attaqué avec chaleur, ou les principes ou les effets, et obéir avec respect aux dépositaires de la puissance publique, sans renoncer au droit de chercher à les éclairer et de dénoncer à la nation leurs fautes ou leurs erreurs. »
De l’influence de la Révolution d’Amérique sur l’Europe