Chercheurs et enseignants hostiles à la LPPR (La Montagne 8/7/20)
Ils s’en doutaient, ils le redoutaient : Frédérique Vidal a bien été reconduite au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Ce mercredi, jour initialement prévu pour l’examen en Conseil des ministres du projet de la très contestée Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), les chercheurs et enseignants du comité de mobilisation des Facs et Labos en Lutte manifesteront à nouveau, dans la plupart des villes universitaires, avec gravité, mais non sans humour, leur rejet d’un texte dont ils n’attendent rien de bon.
Doctorant en géographie à l’Université Sorbonne Nouvelle, enseignant-chercheur contractuel à l’Université de Cergy-Pontoise, Gilles Martinet en sait quelque chose. Membre actif du comité, il appartient à cette jeune génération de chercheurs et enseignants à l’avenir incertain.
« Notre ministre de tutelle, déplore-t-il, se flatte d’investir 25 milliards sur dix ans. Mais, d’ici aux prochaines élections nationales, elle ne propose qu’à peine 500 millions – dont 104 pour 2020 – de financement supplémentaire pour la recherche. Et encore ces millions sont promis à l’Agence nationale de la recherche (ANR) au détriment de financements pérennes. Aujourd’hui, à peine 15 % des projets soumis à l’ANR sont financés. »
Précarité
Et de rappeler que la LPRR a été très mal notée par le Conseil économique, social et environnemental : « Après avoir rappelé que l’effort de recherche stagne depuis le début des années 1990 – la France passant de la quatrième à la douzième place des pays de l’OCDE -, le CESE estime que la loi à venir crée davantage de formes d’emplois précaires (tenure-track à la française, “CDI” de mission, révocable unilatéralement par l’employeur s’il juge que la mission n’est plus d’actualité) et prive la France de son seul moyen d’attirer et de garder des chercheurs et chercheuses de qualité : des emplois permanents. La recherche et l’Université ne fonctionnent aujourd’hui que par l’exploitation de dizaine de milliers de non-titulaires dont les revenus sont aussi instables qu’insuffisants. »
« Plutôt que la précarité accrue qu‘aménage la LPPR, insiste le jeune universitaire, le CESE préconise au contraire d’améliorer les rémunérations et de recruter 5 à 6.000 fonctionnaires – toutes catégories confondues – pour soutenir l’effort de recherche et absorber l’accroissement considérable du nombre d’étudiants, près de 254.000 de plus depuis dix ans, sur les 1,6 million au total que l’Université accueille tant bien que mal, à effectifs enseignants titulaires quasi constants. »
Crédit impôt recherche
« Et ce nombre, poursuit-il, va croître dans les prochaines années. Aujourd’hui, pour 90.000 enseignants-chercheurs hommes et femmes titulaires, ce sont 130.000 enseignantes vacataires qui assurent la formation des licences et des masters pour un salaire inférieur au SMIC horaire. Est-il normal que 30 à 60 % de la formation universitaire soient assurés par des personnels non permanents ? »
L’argent ? Il est tout trouvé : « En regard de l’obole de 104 millions de budget supplémentaire, considérons le Crédit impôt recherche, dispositif d’optimisation fiscale qui n’a de recherche que le nom. Ce Crédit d’impôt pèse aujourd’hui 6,5 milliards d’euros, soit un quart du budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et 2,5 fois le budget du CNRS… De quoi financer un réel plan d’investissement à hauteur de 10,5 milliards par an durant cinq ans à même, notamment, d’abonder un plan pluriannuel de création de postes statutaires et l’accroissement de la dotation des universités, équilibrée sur l’ensemble du territoire, afin qu’elles puissent assurer dignement leurs missions d’enseignement et de recherche. »
Jérôme Pilleyre
Le CESE partage la lecture des opposants à la LPPR. Le comité de mobilisation des Facs et Labos en Lutte s’est trouvé un allié de poids avec le CESE (Conseil économique, social et environnemental) et ses 233 membres voulus représentatifs de la société civile. L’assemblée consultative a voté à une large majorité, le 24 juin dernier, un avis sévère sur la LPPR, concluant : « Peut-on soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade ? Le CESE n’est pas convaincu que les principales mesures en matière de financement et d’emploi scientifique soient de nature à inverser la tendance imposée à la recherche publique dans notre pays, au service public de recherche et à l’enseignement supérieur. En revanche, il a la conviction que la qualité et l’attractivité de notre recherche reposent non pas sur la mise en concurrence mais sur des investissements ambitieux, la confiance faite aux équipes ainsi que sur la collaboration et le travail collectif de personnels stables, payés à la hauteur de leurs qualifications, disposant de moyens suffisants, de temps et d’un environnement de travail de qualité. »
Reste que le nouveau Premier ministre, Pierre Castex, est d’autant moins tenu par cet avis qu’il est consultatif et que c’est son prédécesseur, Édouard Philippe, qui avait saisi le CESE par courrier daté du 5 juin…
J.P.