« NOUS SOUHAITONS L’OUVERTURE D’UN LARGE CHANTIER SUR LE DIALOGUE SOCIAL EN 2023 »
Publié le 23/11/2022 Par CFDT-Fonction publique
Interviewée par Clarisse Jay pour l’AEF info, Mylène Jacquot Secrétaire générale de la CFDT Fonction publique appelle fermement, non seulement à de nouvelles mesures générales pour les agents mais attend de pied ferme le chantier structurel sur la rémunération qui doit s’ouvrir en 2023
Le 8 décembre 2022, se tiendront, pour 5,6 millions d’agents, les élections professionnelles dans les trois versants de la fonction publique, qui ont lieu tous les quatre ans. Un scrutin aux enjeux particulièrement importants cette année : outre le taux de participation, qui est passé sous la barre des 50 % en 2018, de nouvelles instances de dialogue social issues de la loi Fonction publique de 2019 (comités sociaux et CAP aux compétences réduites). Dans cette perspective, AEF info publie tous les jours, à partir du 21 novembre 2022, l’interview des leaders des neuf syndicats représentatifs de la fonction publique (UFSE-CGT, Uffa-CFDT, FGF-FO, Unsa Fonction publique, FSU, Solidaires, FA-FP, CFE-CGC et CFTC). Aujourd’hui c’est le tour de Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, deuxième organisation sur les trois versants avec 19 % des voix ( Résultats définitifs des élections professionnelles de 2018).
AEF info : Le précédent scrutin, en 2018, avait eu lieu au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, marqué notamment par un objectif de 120 000 suppressions de postes, le programme Action publique 2022, la suspension de l’application de PPCR, l’instauration d’un jour de carence… Depuis, la loi de transformation de la fonction publique est entrée en application et la crise sanitaire a poussé le gouvernement à revoir son approche de la fonction publique. Quels sont pour la CFDT les principaux enjeux des élections professionnelles de décembre 2022 ?
Mylène Jacquot : De fait, les élections de 2018 se sont tenues au début du quinquennat précédent qui a été marqué par les travaux du comité Action publique 2022, avec un discours ambiant sur la fonction publique faisant craindre des réductions de périmètre et de baisse de moyens et une remise cause du statut. Aujourd’hui, le contexte est totalement différent y compris concernant le discours politique. Ce dernier a notamment changé sur la place des services publics qui est redevenue centrale. Il en va de même pour la fonction publique, dont le statut n’est plus remis en question malgré l’élargissement du recours au contrat. Mais nous ne notons pas de recours plus massif qu’auparavant aux contractuels.
Pour autant, les insatisfactions des agents sont réelles en particulier dans le contexte actuel inédit de forte inflation qui intervient après plusieurs années de gel de la valeur du point d’indice. Résultat, les réformes engagées par le protocole PPCR ont été quasiment réduites à néant hormis les revalorisations statutaires, notamment de la filière sociale qui avait obtenu son passage en catégorie A. Et malgré les mesures ciblées sur les catégories C et l’alignement systématique de l’indice minimum de traitement sur le Smic – qui est une victoire de la CFDT –, le tassement des grilles s’intensifie, phénomène que n’a pas stoppé la revalorisation de 3,5 % de la valeur du point d’indice en juillet.
Nous appelons par conséquent non seulement à de nouvelles mesures générales (pas sur la seule valeur du point, qui bénéficie davantage aux agents les mieux rémunérés mais également par des mesures telles que l’ajout de points, la complémentaire santé ou l’action sociale) mais nous attendons aussi de pied ferme le chantier structurel sur la rémunération qui doit s’ouvrir en 2023 pour traiter le problème de l’attractivité et faire en sorte que les grilles correspondent mieux aux parcours de carrière. Le sujet de l’attractivité est de plus en plus prégnant comme le montrent les difficultés à recruter dans les secteurs de plus en plus exposés que sont l’Éducation nationale et l’hôpital, où les baisses de candidatures sont massives. Les insatisfactions sont importantes sur la perte de sens au travail et de forts enjeux depuis la crise sanitaire. Après que le rôle des agents publics a été mis en avant durant la crise sanitaire, la culture du contrôle et du manque de confiance qui prévalait avant revient. Toutes ces insatisfactions vont sans nul doute peser sur les élections. À cela s’ajoutent des enjeux climatiques et de transition écologique et numérique que certains services semblent ne pas avoir intégrés et qui ne peuvent pas se résoudre qu’avec des mesures de court terme.
AEF info : Les conséquences de la généralisation du vote électronique dans la fonction publique de l’État et de la mise en place de nouvelles instances de dialogue social (CSA, CST, CSE) pourraient-elles, selon vous, peser sur la participation ?
Mylène Jacquot : Le principal sujet est la participation. Mais ce n’est pas la modalité de vote qui va faire la participation. En revanche, les campagnes de dénigrement du vote électronique jouent sur la participation. Nous avons pu le constater dès 2011 au sein de l’Éducation nationale, où le syndicat majoritaire a fait campagne contre le vote électronique ce qui a conduit à une chute notable de la participation. Or, quand le ministère de l’Intérieur a mis en place le vote électronique, en 2018, cela s’est au contraire traduit par une hausse de la participation et Bercy est resté à 80 %. Il en a été de même en 2021 lors des élections dans les Dreets et Deets, où la participation s’est maintenue. Aujourd’hui, les solutions informatiques de vote électronique sont stabilisées.
En revanche, les inquiétudes sont fortes sur les listes électorales. La réduction des moyens et les pertes de compétences subies par les fonctions supports des services RH engendrent une perte des savoirs. Par conséquent, certains ministères éprouvent des difficultés sur la stabilisation des listes électorales dont certaines ne devraient être finalisées que fin novembre, à quelques jours du scrutin. C’est le cas notamment dans les SGCD où certaines DDI qui peinent à établir les listes électorales. D’où l’importance des campagnes de communication auprès des agents. Par ailleurs, les scrutins sont parfois organisés dans certaines collectivités territoriales ou établissements hospitaliers sans tenir compte de la réalité du travail, en ne donnant pas toute facilité aux agents pour aller voter notamment pour le vote à l’urne.
S’agissant des nouvelles instances, si le nom du comité technique évolue en comité social, la cartographie n’est quasiment pas modifiée, contrairement à ce qui s’est passé dans le privé. Les modalités de dépôt de liste ou de sigle n’ont pas été, non plus, modifiées. Il en va de même pour les compétences, mis à part la formation spécialisée qui vient se substituer en CHSCT. Et même si l’on regrette cette évolution, les CHSCT n’étaient pas élus directement. À cet égard, nous avons obtenu que les élus au CSA siègent à la formation spécialisée ce qui n’était pas le cas avec les CHSCT.
En revanche, le changement est important pour les CAP, dont nous avons contesté la réduction des compétences. Concernant la fusion des CAP [qui seront désormais organisées par catégorie hiérarchique] nous avons tout de même réussi à préserver les grands champs professionnels (encadrement supérieur, enseignants du premier et du second degré…). Elles conservent des compétences, certes sur les aspects de recours, ce qui réduit leur rôle aux aspects négatifs. Mais les agents ne sont pas laissés seuls et cela doit obliger les organisations syndicales à s’emparer de la possibilité pour l’agent de se faire accompagner par un représentant syndical, point que nous avons fait ajouter à la loi de 2019. Nous souhaitons voir toutes ces questions, ainsi que la question de la composition des instances, de discrimination syndicale traitées au sein d’un large chantier sur le dialogue social, chantier qui permettra de faire un bilan de la loi de 2019, dont nous demandons l’ouverture pour 2023.
AEF info : En quoi les négociations passées ou toujours en cours (PSC, haute fonction publique…) relatives aux grandes réformes de la loi Dussopt, à commencer par celle de la négociation collective, changent-elles la donne pour les organisations syndicales ?
Mylène Jacquot : La réforme de la négociation collective responsabilise les organisations syndicales ce qui implique un vrai changement. C’est l’aboutissement d’une bataille qui a duré des années pour faire émerger cette question et celle de la validité des accords pour aller plus loin que la loi de 2010 sur le dialogue social. Cela oblige les organisations syndicales à s’emparer des sujets en lien avec le travail réel, en particulier à l’échelle locale.
La négociation est une culture qui n’existe pas dans la fonction publique et qu’il est nécessaire de faire vivre, et pas seulement en signant des accords nationaux. Or la négociation locale doit s’accompagner. Ce qui implique que les organisations syndicales s’emparent de ce sujet mais aussi que les employeurs publics mènent ce même travail d’appropriation, de formation – y compris des cadres intermédiaires – et d’accompagnement. Cela suppose d’ouvrir le chantier des marges de manœuvre qui sont laissées aux différents niveaux de proximité. Ce sujet doit également faire partie du chantier dialogue social.
Par exemple, si l’on réussit à mettre en place un index sur l’égalité professionnelle, auquel nous sommes prêts à travailler, cela nécessitera des discussions au niveau local. Il faudra donc discuter des niveaux de proximité les plus pertinents et des pratiques de négociation qui diffèrent d’une administration à l’autre. Les négociations locales peuvent aussi avoir un impact sur l’attractivité.
AEF info : Dans quel état d’esprit abordez-vous le chantier sur les rémunérations qui doit s’ouvrir en 2023 ?
Mylène Jacquot : Les attentes des agents sont fortes. Nous avons atteint les limites d’un système qui est régulièrement rafistolé avec une insatisfaction sur les niveaux de rémunération et sur la composante des rémunérations. Nous abordons ce chantier structurel de manière constructive. Nous demandons l’augmentation de la part fixe de la rémunération, un travail sur la part indemnitaire (ce qu’elle vient compenser, prise en compte éventuelle du collectif…).
Il faut revoir la construction de la rémunération en renforçant l’indiciaire et en définissant mieux et en revalorisant l’indemnitaire notamment pour certaines sujétions (travail de nuit, supplémentaire, astreintes…). Il faut arrêter de construire des grilles qui, au bout de 25 ans, ne laissent plus la moindre perspective aux agents. La future grille des administrateurs de l’État est à ce titre un exemple de ce qui pourrait se faire. Elle correspond à certaines de nos demandes, concernant notamment l’ancienneté.
AEF info : De même, qu’attendez-vous du « CNR des services publics » organisé par Stanislas Guerini le 28 octobre, qui a notamment mis l’accent sur l’attractivité, l’accessibilité et la transition écologique ?
Mylène Jacquot : Ces trois questions sont centrales. Sur l’accessibilité, il peut être intéressant d’avoir des déclinaisons locales du CNR avec les territoires. Concernant l’attractivité, qu’il faille s’ouvrir à des sujets comme le mentorat est positif. Mais ce CNR des services publics ne doit pas se substituer au dialogue social et à la prise en compte de la parole des agents. Nous y serons très vigilants. Sur les sujets écologiques, nous ne pouvons pas nous arrêter à des mesures de sobriété énergétique.
Tentons de voir en ce CNR une ouverture et emparons-nous de ces sujets, la question étant de quelle manière ils vont être concrètement traités dans les territoires, quels vont être les impacts sur les politiques publiques – au-delà des mesures lancées comme la formation des cadres – et la capacité d’adaptation des administrations.
AEF info : Quelle est votre analyse de l’évolution du paysage syndical dans les trois versants de la fonction publique ? Neuf organisations syndicales représentatives, n’est-ce pas trop ?
Mylène Jacquot : Le paysage syndical dans les trois versants est relativement stable depuis plusieurs années. Notre ambition est bien sûr de renforcer notre représentativité, la CFDT visant à terme la première place dans la Fonction publique comme dans le privé. Les parcours des agents sont aujourd’hui moins linéaires et plus mixtes qu’avant et nous observons un changement de culture. Nous sommes donc convaincus qu’un syndicalisme comme le nôtre, qui est très à l’écoute du terrain, peut apporter des vraies réponses aux agents. Nous voulons participer à construire une fonction publique davantage en prise avec les enjeux du moment. Sur les dernières années, les fédérations du secteur public sont plutôt en progrès en termes d’adhérents.
Nous avons retrouvé une forme de dynamisme et le fait d’être premier dans le secteur privé marque les esprits. Nous ne notons pas de désengagement des agents pour le syndicalisme mais parfois un effet générationnel, certains ayant profité du changement d’instance pour passer la main et renouveler les équipes. Mais au final, nous devrions avoir plus de listes en 2022 qu’en 2018 dans certains secteurs. Ce qui nous inquiète le plus est une crainte de la part des agents de se porter candidats et de s’afficher pour représenter leurs collègues. C’est la première année que ce phénomène apparaît aussi nettement.
Quant à la présence de neuf organisations représentatives, ce n’est que le résultat d’une représentativité dont le seuil est à 2,5 %. Il faut absolument redonner du sens à la représentativité dans la fonction publique. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une représentativité avec un seuil aussi faible. Cela décrédibilise les organisations syndicales. Nous souhaitons que le nombre de sièges du conseil commun soit ramené à celui des conseils supérieurs des trois versants, à savoir 20 sièges et non 30, ce qui relèvera par définition le seuil de représentativité. Mais cela doit être abordé dans le cadre de discussions sur le dialogue social et s’accompagner du maintien des moyens syndicaux.