Discours d’E. Macron sur la Science : Notre analyse en détail.

Dans son discours le 7 décembre dernier, Emmanuel Macron a dressé devant un parterre de chercheurs sa « vision » de la recherche ainsi que des méthodes et moyens pour la conduire. Ce discours fleuve répondait en écho aux annonces faites le jour même sur la mise en place d’un Conseil présidentiel de la science et, la veille sur une note du MESR sur « l’organisation et le pilotage des actions de simplification ».

Le Sgen CFDT Recherche EPST a analysé l’ensemble de ces textes et déclarations et vous en propose sa lecture.

Le texte en italique est extrait du discours d’E. Macron publié par l’Elysée.

Sur le Conseil présidentiel de la science :

Si nous partageons le constat que nos sociétés peuvent être perméables aux croyances plutôt qu’à la connaissance, force est de s’étonner que le PDR ne s’en aperçoive que maintenant ! Le « risque de démantèlement de l’autorité académique» n’est pas récent, il résulte d’abord : de l’évolution de la démocratie participative dont une des motivations suggère « la remise en cause des formes traditionnelles de l’autorité et de l’influence croissante des nouvelles technologies » (Houllier F.) et ensuite, de l’instrumentalisation du relativisme, intimement lié à l’évolution de la connaissance, mais utilisé comme une arme contre le progrès par des leaders politiques extrémistes et les obscurantistes de tous poils. Ce constat a fait l’objet de nombreuses publications tant scientifiques que destinées à nos concitoyens depuis plus de 20 ans !

Outre que la mise en place du Conseil présidentiel de la science ait un fort relent d’ancien régime, le Prince convoque ses savants, il est douteux que les collègues pressentis soient seuls à même de l’éclairage souhaité. Premièrement parce que ce conseil n’est pas représentatif de l’ensemble des disciplines scientifiques, pas de climatologue ni de spécialiste de l’énergie, préoccupations pourtant majeures dans les choix politiques à opérer face aux changements globaux.

Mais ce que révèle de pire cette décision c’est qu’elle montre une méconnaissance profonde des mécanismes qui régissent la science elle-même et de ses interactions disciplinaires ; comment laisser croire que 12 personnalités même prises parmi les meilleures de leur discipline soient à elles seules capables de définir les grandes orientations de la recherche française ? c’est ignorer qu’il existe et, ce depuis bien avant les deux mandatures actuelles, des institutions pour cela : l’Académie des Sciences, les Conseils Scientifiques des différents Organismes Nationaux de Recherche (ONR) ! des institutions où « l’éclairage » des choix stratégiques s’opère dans la confrontation des opinions, à la lumière de résultats produits par toute la communauté scientifique. C’est sur ces avis là que l’Exécutif doit rechercher les actions de sa politique.  Ce n’est pas faute d’avoir sonné l’alerte sur le climat depuis bientôt 40 ans sans avoir été entendu !

Enfin, la déclaration ci-contre : « On a fait des rapports très compliqués ; la ministre a demandé un rapport à Ph. Gillet et avec des travaux menés par l’Académie des sciences. Mais tout cela devrait se faire spontanément, plus simplement, plus fortement [.] Aujourd’hui nous devons prendre des décisions avec un caractère vraiment irréversible. » montre une conception de la décision publique qui tend au despotisme plutôt qu’à la décision éclairée par les savants que le Président convoque pourtant au plus près de lui. Sans doute une manière de raccourcir la distance qui le sépare du pouvoir de décider seul de l’avenir de la recherche au plus grand mépris de la communauté qu’il prétend consulter.

Sur l’évolution des ONR en agences de programmes :

De quoi s’agit-il ? Nous n’avons lu nulle part une définition de ce que ce vocable devait contenir !

« Chaque ONR transformé en agence aura ainsi un vrai mandat et disposera des ressources pour piloter les programmes qui lui seront confiés[.]. Nous allons ainsi vers un principe de spécialité par agence de programme, même si, on le sait, des agences sont plus généralistes que d’autres ».

Si l’objectif, tel que l’on peut tenter de le comprendre, réside dans l’affirmation d’un périmètre de compétence exclusif, il se peut dans ce cas que l’Inserm, par exemple, se trouve conforté dans son rôle de pilote de la stratégie nationale de santé, sans que cela ne change grand-chose pour elle. Mais alors que penser du CNRS, lui qui ne se voit attribuer que la thématique « océans, climat et biodiversité » ? Si cette logique s’applique aveuglément cela signifierait qu’à terme des pans entiers d’activités de recherche au CNRS passeront sous l’égide d’autres Agences. Ce qui n’est évidemment pas concevable !

Par ailleurs, cette déclaration doit alerter au-delà des ONR : « Nous avons une spécificité française qui tient à la coexistence de plusieurs institutions de différentes natures : des organismes nationaux de recherche, des universités, des grandes écoles, des établissements d’enseignement supérieur qui conduisent chacun leurs travaux, avec une coordination, un partage des tâches qui fait encore parfois défaut. À l’échelle de la nation, ce morcellement désordonné nous prive de nous concentrer sur de grands défis partagés, nous empêche par exemple d’être suffisamment réactifs en cas d’urgence, et diminue notre capacité, parfois, à être attractif aussi dans le monde. » 

Il s’agit là d’une vision idéologique qui se cache derrière le soi-disant manque de lisibilité de l’ESR français, cette doxa qui nous conduit à imiter le système anglo-saxon… qui lui rêve du nôtre ! Il semble, selon cette affirmation, que l’objectif à atteindre dépasse et de loin le sort des seuls ONR !

Sur l’évaluation de la recherche :

« Aujourd’hui, une mauvaise évaluation n’a aucune conséquence quasiment. Collectivement, si on veut qu’il y en ait moins, sur une équipe de recherche qui a une mauvaise évaluation, on accepte de la fermer. »

Réduire le nombre et la fréquence des évaluations ? soit, mais si l’objectif réside dans ce que dessus, il convient de s’interroger sur l’évaluateur ! Quels seront les objectifs et les critères d’une “bonne évaluation” ? Par ailleurs, il devient de plus en plus pertinent d’évaluer les politiques publiques qui confondent l’innovation et la recherche fondamentale et de s’interroger sur le protectionnisme rampant que constitue le Crédit Impôt Recherche qui sert davantage de niche fiscale aux entreprises plutôt que de soutenir l’investissement privé dans la recherche !

Sur la réforme des Statuts :

« Je suis incapable de dire au fond, s’il faudrait 100 % de temps de recherche pour la même personne tout au long de sa vie, et c’est sans doute une stupidité absolue notre système. Peut-être que cette personne entrée à 25 ans dans un système, qu’à un moment donné elle aura envie de faire un peu plus d’enseignement. » « Diable, les statuts ne sont pas des protections, aujourd’hui, ce sont devenus des éléments de complexité. Donc je vous invite très sincèrement à les changer vous-mêmes. »

Les mots sont lâchés, Ça n’aura échappé à personne, la volonté du pouvoir politique est, au bout du bout, de converger vers un statut unique d’enseignant-chercheur, idem pour les IT. Une fois encore l’aveuglement tient lieu de politique. Plutôt que de cultiver notre différence héritière de nos traditions académiques, il conviendrait donc de tout uniformiser, pourquoi et surtout pour qui ? pour qu’une besogneuse entreprise privée puisse y voir plus clair dans sa légitimité autoproclamée de classer la production scientifique mondiale ? ( Le classement de Shanghai est établi par des chercheurs de l’entreprise Shanghaï Ranking en Chine, avec comme objectif d’accélérer la modernisation des universités du pays en y calquant les caractéristiques des grandes universités nord-américaines de l’Ivy League). 

Allons, cultivons donc notre différence française, elle ne s’est pas démentie en remportant 7 prix Nobel depuis 2018 dont 2 cette année!

Sur l’autonomie des Universités et les délais :

Le SGEN-CFDT partage le constat du président quant au financement insuffisant de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ces dernières années. Nous ne partageons pas son autosatisfecit quant à la LPR : les hausses budgétaires prévues ont été absorbées par l’inflation de ces dernières années. 

De même, si le SGEN-CFDT partage le constat de la complexité administrative vécue par tous les acteurs du monde de la recherche, nous ne partageons pas son avis quant aux causes. Les nombreuses réformes de ces dernières années, et en particulier les réorganisations des campus avec les Établissements Publics Expérimentaux, ont aussi contribué à cette complexité. 

Nous sommes surtout très inquiets quant au calendrier annoncé pour les réformes (18 mois), qui nous paraît totalement irréaliste, et qui ne tient pas compte de l’épuisement des collègues. Nous avons enchaîné des séries de réforme depuis 20 ans (LRU, ORE, LPR au plan national, regroupements d’universités en COMUE puis en EPE au plan local). Ces réformes incessantes ont épuisé les collègues, qui ont besoin aussi de stabilité et de sérénité pour faire leur recherche dans de bonnes conditions.

 Sur le financement privé, européen et régalien :

« Et je crois que, y compris les réformes impopulaires prises cette année, travailler plus longtemps quand on vit plus longtemps, c’est ce qui permet de créer plus de richesses et de financer la science ».

Il fallait oser ! prétendre que l’allongement de la durée du travail, que la CFDT a combattue avec vigueur, sert à financer la Science est une énormité qui montre que le PDR n’échappe pas, comme d’autres leaders politiques, à la tentation du mensonge pour justifier une décision antidémocratique.

« Il n’y a pas de société de la décroissance possible avec le modèle social qui est le nôtre. [.] Et donc on a besoin de continuer à chercher pour créer, pour inventer, pour ensuite déployer des innovations de plus en plus fortes. »

A la CFDT nous pensons tout le contraire, la « richesse » tant prônée par le PDR ne réside pas seulement dans le «produire toujours plus » mais de produire mieux dans une société du partage en cohérence avec l’état des ressources et en développant et adaptant les outils de productions et les conditions de travail. La Recherche n’échappe pas à cette réalité d’autant qu’elle contribue à la construire, à la mettre en évidence. Depuis plus de 20 ans les gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’enchaîner réformes sur réformes, sans attendre les résultats escomptés de la précédente pour en créer une nouvelle (LRU, ORE, LPR, COMUE puis en EPE au plan local).

Chaque gouvernement impose sa « marque », croit en l’efficience de son jugement et de ses actes en congédiant d’un revers de mains toutes opinions discordantes ! l’industrie crée sans doute de la richesse en développant des processus conçus dans nos laboratoires mais elle ne produit pas de connaissance et c’est là toute la différence !  Notre modèle économique exploite des brevets mais c’est le plus souvent la recherche publique qui les dépose parce que de la connaissance émerge parfois un concept innovant, mais jamais l’inverse !

Le Sgen CFDT Recherche ne cessera de dénoncer la doxa d’une technocratie utilitariste, plus proche de l’industrie que de la recherche, qui inscrit l’innovation comme l’un des attendus de la recherche que financent les politiques publiques qui prétendent soutenir la recherche dans les ONR. Cette dérive sémantique, qui ne distingue plus l’innovation de l’activité scientifique et que favorise la recherche sur projets, est porteuse de nombreuses dérives. De plus, cette vision erronée induit un biais cognitif entre l’innovation et la recherche et développement (R&D). Si la R&D constitue une vision à long terme de l’organisation dans la stratégie d’entreprise, l’innovation s’inscrit, quant à elle, dans un modèle économique à court terme.

Pourquoi l’ERC ? pour récupérer une partie de la contribution française au budget européen. En quoi ce dernier contribue-t-il à un espace européen de la recherche ? En rien ! il favorise au contraire la compétition entre les acteurs de la recherche alors qu’il devrait rassembler les meilleurs spécialistes pour mettre en commun les énergies et les intelligences. l’argent de l’UE se transforme en une course effrénée à la subvention pour nos chercheurs, nos ingénieurs en épuisant tout le collectif de recherche sans aucune garantie de succès !

L’effort de recherche en France peine à dépasser les 2 % du PIB, il aurait dû atteindre 3 % pour répondre au protocole de Lisbonne fixé il y a 23 ans ! Pire, il continue de baisser, passant de 2,28 % en 2020 à 2,18 % en 2022, ajouté des effets délétères de l’inflation et l’absence de correction attendue de la LPR, le budget 2024 maintiendra la sous dotation de l’ESR français malgré les annonces ronflantes !

Sur les rémunérations des agents de l’ESR

“ Ce qu’on a trouvé en 2017, c’est d’abord un sous-investissement chronique dans notre recherche. Les rémunérations de nos chercheurs étaient inférieures de 37 % à la moyenne de l’OCDE”

Le PDR rappelle un constat que la CFDT a dénoncé depuis plus de 20 ans. La LPR, dans son volet rémunérations (RIPEC-RIFSEEP), devait répondre à nos revendications, mais elle ne l’a fait qu’en partie avec un retard de 2 ans sur les 7 ans initiaux. Depuis l’inflation, que ne compense pas l’augmentation indigente du point d’indice abandonné à la charge  du budget des ONR, anéantie toute perspective d’amélioration des salaires, ce que nous ne cesserons de dénoncer.

Sur la Simplification, cette partie ne reprend pas les déclarations de M. Macron mais se fonde sur une note du MESR parue le 4/12/23  dans les colonnes de News Tank.

“ Mettre en place un baromètre de la simplification avec une enquête de satisfaction à l’automne 2024, alléger la liquidation des frais de mission, faciliter les autorisations de cumuls d’activité des chercheurs, valoriser par les ONR les actions d’enseignement des chercheurs.”

Le Sgen Recherche EPST constate que le Diable se cache dans les détails, pour satisfaire à ces ambitions la Ministre prévoit la mise en place d’un comité de pilotage. Ce dernier réunit des Pdg d’ONR, des représentants du Hcéres, de membres du MESR, etc. accompagné d’un collège “représentatif” (?) de directeur d’unités, et de cadres administratifs.. mais d’OS point n’est question ! ! 

Un comité Théodule de plus à la légitimité contrariée par l’absence de contradicteurs.

On trouve aussi «confier à l’établissement ESR l’organisation de la coordination des dialogues de gestion avec les labos ». pour un pilotage par le haut on ne pouvait pas envisager pire ! Comment d’une position jacobine le MESR pourrait il simplifié quoi que ce soit dans le dialogue de gestion des laboratoires ? Si la recette, comme la note le prévoit, réside dans la gestion unique d’une UMR pour une seule tutelle, c’est ignorer que c’est déjà le cas presque partout, au moins au CNRS.

Enfin, concernant les appels à projets de l’ANR on s’étouffe de rire à la lecture de la préconisation qui propose de limiter les dossiers de soumission à 20 pages! au passage il ne sont que de 5 pour une ERC…

Le Sgen CFDT Recherche EPST s’insurge contre une initiative qui, de louable, risque fort de n’aboutir qu’à plus de confusion. Nos propositions, comme celles des autres OS, ne sont pas récentes, pas plus que l’interpellation des tutelles pour engager un chantier nécessaire où la voix des usagers ainsi que l’expérience du vécu serait la meilleure prescription.

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