Découvrez comment la Cour de cassation utilise l’intelligence artificielle (IA)
Une thèse en sociologie, réalisée par Camille Girard-Chaudet, dévoile les coulisses de l’élaboration d’un outil de pseudonymisation par l’IA au sein de la Cour de cassation. En réponse aux exigences de la Loi pour une République numérique, cette étude met en lumière les défis et les dynamiques internes entre l’équipe de techniciennes administratives et celle des data-scientists. Cette collaboration met en évidence l’importance de l’annotation manuelle, souvent sous-estimée, mais essentielle à la qualité de l’IA. Plongez dans cette analyse détaillée pour comprendre les enjeux et les contributions méconnues de ces agents publics.
Sous l’impulsion de la Loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les administrations françaises ont progressivement mis en place des procédures d’automatisation de l’ouverture des données publiques. Dans ce cadre, la pseudonymisation s’est imposée comme une étape préalable à la diffusion de certains documents. La loi République numérique stipule, en effet, via son article 20, que l’ensemble des décisions de justice doit être accessible au public gratuitement, tout en respectant la vie privée des personnes concernées. Pour répondre à cette exigence, la Cour de cassation a élaboré et mis en œuvre des règles de pseudonymisation particulièrement fines permettant de conserver les liens logiques essentiels, ce qui n’aurait pas été réalisable avec un simple biffage des noms.
Camille Girard-Chanudet, doctorante en sociologie à l’EHESS, a passé six mois au sein du pôle open data du service de la documentation, des études et du rapport (SDER) de la Cour de cassation. Elle note un contraste entre cette équipe, jeune, masculine et majoritairement issue du secteur privé, et le personnel administratif traditionnel de la Cour. Ces tâches d’annotation manuelle, cruciales pour la qualité de l’IA, sont souvent externalisées, mais ici, une équipe dédiée a été constituée en interne.
L’annotation, essentielle à l’entraînement de l’algorithme, a ainsi été confiée à une équipe interne de techniciennes administratives (catégorie C). Cependant, en dépit de leur rôle crucial, ces annotatrices ne participaient pas aux réunions de projet et étaient peu informés des enjeux globaux. L’article souligne les défis rencontrés par ces “annotratrices”, soulignant l’importance de leurs contributions malgré une reconnaissance hiérarchique et organisationnelle limitée. Comme une réminiscence des “dames de la Carte du ciel” qui, au XIXe siècle, à l’aide de 22 000 plaques photographiques en verre, contribuèrent à cartographier l’ensemble des étoiles du ciel en saisissant laborieusement chacune de leurs coordonnées dans l’ombre des grands astrophysiciens.
Ce cas d’espèce est l’occasion aux fédérations CFDT Fonctions publiques de rappeler que la transformation numérique est un formidable levier de progrès mais doit, en premier lieu, viser à préserver un service public à visage humain. Ce processus doit promouvoir l’émancipation des agents, leur développement en termes d’autonomie, de compétences et de créativité. Une telle évidence devrait naturellement orienter les choix stratégiques en matière de numérique. Or, il est regrettable de constater que ces décisions ne sont pas systématiquement précédées des débats nécessaires au sein des instances représentatives du personnel. Il est plus que jamais urgent qu’un véritable dialogue social s’instaure en matière de répercussions de ces transformations sur l’emploi, la qualité de vie et l’organisation du travail, sans oublier, car l’Histoire des révolutions technologiques nous l’enseigne, l’enjeu de l’égalité professionnelle.
• Pour lire l’article « Le travail de l’Intelligence Artificielle : concevoir et entraîner un outil de pseudonymisation automatique à la Cour de cassation », RESET, 2023, suivez ce lien : https://journals.openedition.org/reset/4731
• Pour écouter l’interview par Xavier de La Porte , suivez ce lien :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-code-a-change/le-code-a-change-6-5342040
• Pour accéder aux résultats de ce travail d’annotation, les décisions pseudonymisées sont accessibles depuis peu via le portail Judilibre, suivez ce lien : https://www.courdecassation.fr/acces-rapide-judilibre