Édito du 4 novembre 2025

Conventions citoyennes : 10 % pour les citoyen·nes : Réparer la démocratie par la recherche

Abstention record, infox à gogo, décisions prises hors champ citoyen : notre démocratie s’essouffle. Les conventions citoyennes ont prouvé qu’un public tiré au sort, informé et contradictoirement éclairé, produit des propositions robustes. Le problème n’est pas leur qualité, c’est l’absence d’un cadre qui oblige à les traduire en actes. Inscrivons-les dans le droit et confions-leur au moins 10 % du budget public européen de la recherche : un levier simple pour un renouveau démocratique concret.

Il y a des symptômes qu’on ne peut plus maquiller : défiance envers les institutions, fatigue vis-à-vis des promesses, soupçon permanent d’entre-soi. Or, quand on a fait l’effort de réunir des citoyennes et des citoyens tirés au sort, de les former, d’exposer leurs points de vue à la contradiction, les résultats ont été solides — y compris sur des sujets polarisants comme le climat ou la fin de vie. Ce qui a manqué ? Une procédure qui empêche les recommandations de s’échouer dans les sables politiques.

Ce cadre, nous pouvons le créer. Il tient en quelques principes clairs : 1) consacrer constitutionnellement l’existence des conventions citoyennes ; 2) étendre l’initiative législative pour que leurs recommandations deviennent automatiquement des propositions de loi ; 3) imposer des délais d’examen par chaque assemblée ; 4) garantir la qualité délibérative grâce à une instance indépendante chargée du tirage au sort, de l’éthique et de la transparence. On ne remplace pas le Parlement : on lui retire seulement le droit d’ignorer.

Reste à prouver que ce n’est pas du “cosmétique participatif”. Prouvons-le là où l’opacité est la plus coûteuse : la recherche et l’innovation. Aujourd’hui, les priorités budgétaires se décident trop souvent entre initiés. Le résultat est prévisible : des milliards orientés vers ce qui se brevète vite, trop peu vers ce qui améliore la vie réelle, prévient les risques ou renforce nos biens communs.

Proposition concrète : orienter au moins 10 % du budget public européen de la recherche via des conventions citoyennes. Ce n’est pas un slogan, c’est une procédure. Des conventions de programmation scientifique, composées de citoyennes et citoyens tirés au sort, auditionneraient scientifiques, industriels, associations et administrations. Elles arbitreraient — en transparence — une part des crédits vers des “sciences non faites” ou sous-dotées : exposome (effets cumulés des pollutions et conditions de vie sur la santé), agroécologie, sobriété et low-techs, prévention, sciences sociales de l’implémentation, adaptation aux risques.

Objection classique : “Les citoyens ne sont pas des experts.” Justement : on ne leur demande pas de trancher une équation différentielle, mais d’indiquer où placer l’effort collectif quand plusieurs trajectoires scientifiques sont défendables. L’expertise éclaire ; la légitimité fixe les priorités. Dit autrement : aux chercheuses et chercheurs le “comment”, aux citoyens le “pour quoi faire”.

Objection numéro deux : “10 %, c’est trop.” 10 % est précisément le bon ordre de grandeur : assez pour peser, pas assez pour déstabiliser un écosystème. C’est un quota de pluralisme qui force la curiosité et réduit l’angle mort démocratique, sans bureaucratiser la science ni punir l’excellence.

Objection numéro trois : “Encore une couche de process !” Au contraire : un calendrier d’examen parlementaire verrouillé, une commission de participation citoyenne garante des méthodes, la publicité des travaux et des réponses. Bref, moins d’arbitraire, plus de clarté. Et un principe simple : toute recommandation fait l’objet d’un vote, oui ou non, expliqué. La politique retrouve sa responsabilité.

Le bénéfice démocratique est immédiat : passer d’une participation “consultative” à une participation engageante, où les citoyennes et les citoyens savent que leurs propositions seront examinées, amendées, votées — et, si refusées, refusées à visage découvert. C’est la fin du participatif vitrine. C’est aussi un message adressé au monde scientifique : nous avons besoin de vous, y compris là où l’économie de la connaissance finance mal — prévention, santé environnementale, justice sociale des transitions.

À ceux qui redoutent un “gouvernement par sondage”, rappelons la différence : une convention citoyenne n’est pas une enquête d’opinion, c’est une délibération instruite. Elle produit du désaccord éclairé, pas des réflexes pavloviens. Et le désaccord éclairé est précisément ce dont notre démocratie manque, à l’heure où l’algorithme nous enferme dans des certitudes confortables.

Alors, que faire, très concrètement ? Inscrire les conventions citoyennes dans la Constitution ; créer une autorité parlementaire indépendante pour garantir tirage au sort, diversité, confidentialité durant les travaux et transparence des auditions ; lier leurs rapports à une mise à l’agenda législatif sous forme de propositions de loi ; et, au niveau européen comme national, réserver au moins 10 % des budgets de recherche à des programmations issues de conventions citoyennes.

La démocratie n’a pas besoin d’un énième slogan, mais d’un levier. Les conventions citoyennes en sont un. Elles ne promettent pas l’unanimité ; elles promettent mieux : que nos désaccords soient instruits, tranchés au grand jour et orientés par l’intérêt général. C’est moins spectaculaire qu’un clash viral, mais infiniment plus efficace pour réparer la confiance. Et la confiance, en politique comme en science, n’est pas un luxe : c’est le carburant.