Édito du 17 Décembre 2025
La justice internationale sur liste noire, ou comment désactiver un juge.
Il suffit d’un stylo — et d’un bouton « conformité ». Le 20 août 2025, un juge français de la Cour pénale internationale, Nicolas Guillou, est placé sous sanctions américaines. Motif politique : la CPI s’aventure là où Washington refuse qu’on marche, en autorisant des procédures visant des dirigeants israéliens. Résultat pratique : une vie « désactivée ».
La sanction moderne n’a plus besoin de frontières. Elle traverse Visa, Mastercard, PayPal, les clouds, les plateformes, et contamine jusqu’au quotidien le plus banal. Comptes fermés, moyens de paiement rendus inutilisables, services suspendus : Airbnb, Amazon, messageries, outils de travail, tout peut se gripper d’un coup. Des réservations d’hôtel en France peuvent être annulées par un site appliquant mécaniquement la règle américaine. Des colis se retrouvent bloqués parce qu’un transporteur ou un intermédiaire dépend d’une chaîne logistique “US-compliant”. Même des banques européennes peuvent geler “par prudence” des avoirs, de peur d’un ricochet juridique. On appelle ça une sanction ; en réalité, c’est une asphyxie administrative : rendre la vie impossible sans jamais avoir à convaincre, ni à juger.
On nous vend la démocratie comme un débat. Ici, on obtient une liste. On invoque la souveraineté pour punir un magistrat étranger d’avoir fait son métier. L’ironie est cruelle : le droit devient l’arme qui neutralise le droit. La justice internationale est traitée comme une nuisance, et les juges comme des menaces — non parce qu’ils sont violents, mais parce qu’ils rappellent que la force n’est pas un argument.
Pour nous, Européens, l’affaire est un miroir : notre « autonomie » dépend de tuyaux non européens. Nos libertés concrètes passent par des infrastructures qui peuvent obéir à un décret étranger. L’Union a des outils, sur le papier. Encore faut-il le courage de s’en servir.
Le vrai message de ces sanctions n’est pas juridique, il est politique : « regardez ce qu’il vous en coûte de juger les puissants ». Et si un juge peut être asphyxié, d’autres suivront. À force d’accepter cette pédagogie par la peur, on finira par appeler cela « l’ordre », chez nous, sans même rougir !

