Interviews de Laurent Berger
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Interview du 4 février 2019 à France Info
Interview du 4 février 2019 à France 2
Interview du 3 février dans Le Parisien
Portrait de Laurent Berger dans l’Obs du 30 janvier 2019
Interview donnée au Figaro et publiée le mardi 22 janvier 2019
Interview publiée le 20 janvier dans la Montagne*
LAURENT BERGER ■ Le secrétaire général de la CFDT, premier syndicat français, ne transige pas avec les valeurs « Le risque que ça tourne mal »
Depuis le début de la crise des « gilets jaunes », le leader du premier syndicat français, public/privé confondus, insiste sur le rôle des corps intermédiaires et met en garde contre certaines paroles publiques trop « complaisantes ».
Florence Chédotal
florence.chedotal@centrefrance.com
Un peu comme une vigie, Laurent Berger est de ceux, attachés à certaines valeurs, qui netanguent pas dans la tempête. Le secrétaire de la CFDT évoque sa « vision de l’intérêt général ».
■ Quels espoirs mettez-vous dans ce « grand débat » qui débute ? Débattre, échanger… c’est l’ADN de la CFDT. Nous souhaitons nous inscrire dans ce débat, tout en exigeant que son indépendance soit garantie et qu’on fasse quelque chose de ses conclusions. Nous appelons à la tenue d’un « Grenelle du pouvoir de vivre », à l’issue de la première phase du débat. Il faut une phase de concertation à la fin, un temps de démocratie sociale avant la prise de décision. Sinon tout cela n’aura pas de sens.
■ Concrètement, comment la CFDT compte-t-elle œuvrer ? Nos militants sont aussi des citoyens qui feront valoir nos propositions à travers les débats organisés sur le territoire. nous-mêmes allons organiser des débats sur les quatre thèmes évoqués, en y ajoutant le grand absent : le pouvoir d’achat.
■ Les « gilets jaunes » ont obtenu des résultats. Un constat d’échec pour des syndicats susceptibles d’être délégitimés ? Il y a eu un soutien populaire aux « gilets jaunes ». Le gouvernement a cédé, il est vrai, alors que les syndicats demandaient la même chose, notamment sur la CSG, avec des mobilisations souvent bien plus importantes. Je crois que cela doit interroger, en premier lieu, le pouvoir sur sa conception de la démocratie. Mais pas seulement. Comme les politiques, comme les médias, la capacité des syndicats à se faire entendre est interrogée.
Mais ce n’est pas la fin du syndicalisme. Cette crise dit au contraire que lorsque l’on croit pouvoir se passer des corps intermédiaires, cela revient au visage comme un boomerang. Si le Président n’a pas compris cela, il y aura de quoi désespérer. La place de premier syndicat récemment acquise par la CFDT montre qu’on a besoin d’une parole forte mais qui négocie car la réalité est plus compliquée qu’un slogan. C’est la victoire d’un syndicalisme exigeant et constructif.
■ À diverses reprises, vous avez mis en garde contre des dérives du mouvement des « gilets jaunes »… Ce n’est pas qu’une crise sociale. Elle est démocratique également, avec le risque que ça tourne mal pour les libertés, pour une certaine conception de la démocratie. J’ai pu choquer, au départ, lorsque je critiquais cette logique totalitaire qui consiste à obliger des citoyens à signer une pétition ou à mettre un gilet jaune pour passer à un barrage. Cela n’enlève rien au fait que des gens vivent des situations inacceptables et je comprends cette colère sociale. Mais des extrêmes de droite et de gauche sont venus la récupérer. Ce mouvement a dans ses soubassements une logique réactionnaire. On se retrouve avec des violences qui touchent des bâtiments, des élus de la République, des journalistes… Il est respectable d’exprimer une colère de façon pacifique, mais je n’ai aucune sorte de fascination pour ceux qui utilisent la violence à des fins antidémocratiques. À cet égard, il y a eu des paroles publiques trop complaisantes. Je ne suis pas naïf. À la fin, tout cela sert l’extrême droite.
■ Depuis le début de cette crise, vous semblez ne pas tanguer. Or, vous pourriez nourrir quelques rancoeurs. Je refuse les outrances, la violence, le totalitarisme. Je suis profondément attaché aux valeurs démocratiques, au respect de chacun. Il est normal qu’il y ait des confrontations. Mais, les intérêts des uns n’ étant pas ceux des autres, il faut faire émerger des solutions, de s compromis. Je n’ai pas d’ennemi, sinon l’extrême droite. Comme beaucoup d’entre nous, j’aurais préféré me passer de cette crise. La posture serait de se planquer en attendant que ça passe. Je veux , pour ma part, pouvoir répondre à une question simple que chaque acteur de la société doit se poser. De là où je suis, auraije fait le nécessaire pour ne pas que l’on tombe dans une logique totalitaire ? Dont d’ailleurs les travailleurs sont toujours les premières victimes. Voilà pourquoi , malgré les amertumes qui peuvent exister, la CFDT continuer a à défendre les travailleurs et à porter sa vision de l’intérêt général. ■
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Interview donnée au Figaro et publiée le mardi 22 janvier 2019
Laurent Berger : « Certains syndicats fragilisent la démocratie »
Pour le patron de la CFDT, à trop négliger les corps intermédiaires, Emmanuel Macron s’est retrouvé dans un « face-à-face direct » avec les « gilets jaunes » .
Landré, Marc, Crouzel, Cécile
Le secrétaire général de la CFDT, première centrale syndicale tous secteurs confondus depuis 2018, revient sur la crise démocratique que vit la France et s’interroge sur le rôle que les partenaires sociaux doivent jouer pour en sortir. Il sera l’invité jeudi sur France 2 d’un numéro spécial « gilets jaunes » de « L’Émission politique » .
LE FIGARO.- La France vit depuis près de trois mois au rythme des manifestations des « gilets jaunes » . Que vous inspire ce mouvement, inédit dans sa genèse et sa forme, sur l’état de la démocratie en France ? Laurent BERGER.- Je l’avais dit en septembre, la France vit depuis plusieurs années sous la menace de trois bombes à retardement qui ont commencé à exploser avec le mouvement des « gilets jaunes » : une bombe écologique, dont l’urgence est toujours prégnante ; une bombe sur les inégalités, sociales et territoriales, qui ont atteint un niveau inacceptable ; et une bombe démocratique, avec l’incapacité à répondre collectivement aux aspirations de la population. La crise actuelle est l’expression de ce ras-le-bol dont l’ampleur est accentuée par la récupération politique à l’oeuvre à l’extrême droite et l’extrême gauche.
Le président rencontre un niveau de haine jamais atteint, des députés sont menacés de mort, des casseurs veulent lyncher des forces de l’ordre, des bâtiments officiels sont vandalisés… Comment a-t-on pu en arriver à une telle extrémité ? Je distingue ceux qui ont manifesté pacifiquement pour dénoncer les inégalités et ceux qui ont déchaîné la violence. Cette violence est un mix de plusieurs raisons : des gens peu attachés au modèle républicain et démocratique, des agitateurs professionnels qui veulent en découdre avec le pouvoir et quelques soubresauts réactionnaires. N’en déplaisent à ceux qui sont fascinés par cette crise mais le mouvement des « gilets jaunes » n’a rien à voir avec un corps intermédiaire, politique, syndical ou associatif, capable de réunir des gens, de les faire débattre entre eux, de hiérarchiser les revendications, de définir une représentation, de cadrer des manifestations, de limiter les débordements et, in fine, de s’engager dans la recherche de solutions. Il n’a rien inventé, ne mobilise pas en masse… Les réseaux sociaux et les médias ont ensuite leur part de responsabilité dans l’aggravation de cette crise démocratique. Ils ont conduit à ce qu’on regarde les affrontements à la télévision le samedi, commente ce qui s’est passé du dimanche au mardi et se demande comment le prochain round va se dérouler du mercredi au vendredi.
Cela n’explique pas le degré de violence… Les événements actuels sont aussi la conséquence d’une gouvernance verticale qui outrepasse les organisations et laisse du coup le pouvoir dans un face-à-face direct. La violence, que peu de dirigeants politiques condamnent sans ambiguïté – il y a un toujours un « mais » en deuxième partie de phrase -, a aussi été accentuée par des mots détournés de leur sens : non, la France n’est pas une dictature ! Lorsqu’on perd le sens de la nuance, l’outrance des mots précède la violence et la légitime. Ceux de tous bords qui ont contribué à faire monter en pression la cocotte-minute au lieu de rechercher l’apaisement portent une large responsabilité dans la situation actuelle.
Une forme de faillite du dialogue dans l’Hexagone n’explique-t-elle pas l’émergence d’un tel mouvement d’inspiration populaire, indépendamment de toute organisation ? Cette crise interroge clairement le syndicalisme, même s’il est faux de dire que nous n’obtenons pas de résultats. Dans les entreprises mais aussi plus globalement. La généralisation des complémentaires santé prises en charge par les employeurs dans le privé est un exemple concret d’une avancée sociale à mettre à notre crédit. Mais c’est vrai que l’on a trop de mal à mettre en lumière les problèmes des gens que l’on a identifiés ; que l’on passe parfois trop vite à la recherche de solutions collectives. Et quand on prévient, on ne nous écoute pas. On a alerté pendant dix-huit mois sur les conséquences de la hausse de la CSG pour les retraités « aisés » à 1 200 euros de pension. Il a fallu de la violence pour ça bouge. Ce n’est pas normal.
Quelle part de responsabilité les syndicats – et notamment la CFDT, passée première organisation en 2018 – ont-ils dans cette séquence ? Notre position de numéro un nous oblige mais démontre aussi que les travailleurs ont majoritairement une aspiration à trouver des solutions. Mais il faut être honnête : notre capacité à porter des propositions communes est limitée. Certaines organisations syndicales scient la branche sur laquelle elles sont assises en s’opposant à tout. Elles fragilisent la démocratie sociale et, par ricochet, le syndicalisme.
Pour construire le « grand débat national » et sortir de la crise, Emmanuel Macron s’est inspiré de votre idée initiale de réunir tous les acteurs du conflit. Cette forme inédite de rencontres citoyennes, encadrées par l’exécutif sur quatre thèmes très larges, est-elle la solution ? Le mouvement des « gilets jaunes » a remis en lumière la nécessité de développer une démocratie plus participative et citoyenne, et le « grand débat national » , même encadré, peut y participer. Mais le vrai sujet est de savoir ce qu’il en ressortira. Si c’est une analyse unipersonnelle du président et de quelques-uns de ses proches, ces débats auront été un coup d’épée dans l’eau. C’est pourquoi je réclame un « Grenelle du pouvoir de vivre » qui donnerait la possibilité aux acteurs sociaux de construire des solutions concrètes à partir des revendications des citoyens. Il faudra des réponses immédiates – et nous pouvons les construire collectivement – mais nous n’échapperons pas à une réflexion sur les solutions de long terme.
Le style de gouvernance du chef de l’État est tout autant critiqué que le manque de résultat de sa politique. Ses petites phrases sont-elles un problème ? Le président coagule beaucoup de ressentiments et ses petites phrases sont peut-être un des éléments du problème car il n’est jamais bon de stigmatiser ou donner le sentiment d’humilier. Mais l’accélération de l’usure du pouvoir est aussi une réalité depuis plusieurs quinquennats. Cela se cumule avec la personnalité du président dont l’élection s’est faite sur le rejet d’un prétendu système que rejettent aussi les « gilets jaunes » . La défiance du pouvoir à l’égard des syndicats et des corps intermédiaires est problématique et dommageable, elle accentue la crise et n’est pas à la hauteur du moment que l’on vit. La France traverse une crise grave qui peut menacer la démocratie et notre système de valeurs. Mais il n’est pas trop tard pour trouver des solutions pour plus de justice sociale. Pour cela, il est nécessaire dans les prochains mois d’articuler la démocratie représentative qui a la légitimité de l’élection, la démocratie participative car il y a une aspiration citoyenne bienvenue et la démocratie sociale qui permet, par la diversité de ses acteurs, de construire les compromis indispensables à toute société.
Le mouvement des « gilets jaunes » n’a rien à voir avec un corps intermédiaire, politique, syndical ou associatif, capable de réunir des gens […]. Il n’a rien inventé, ne mobilise pas en masse… LAURENT BERGER
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