Retraites : multilatérales du 13 février
En présence du Premier ministre, la réunion multilatérale du 13 février a constitué un point d’étape des discussions ouvertes par Matignon le 19 décembre dernier. Elle a porté sur les sujets suivants : pénibilité, fins de carrières, emploi des seniors, transitions, minimum de pension. Ce sont des thèmes que la CFDT a portés et mis au centre du débat depuis le début des concertations.
Ces discussions ont amené des résultats positifs principalement en matière de transition et de retraite progressive. Les mesures d’emploi des seniors ne sont que des pistes à suivre. Le sujet du minimum de pension est lui, renvoyé à la conférence de financement en raison de ses potentiels impacts financiers.
Sur la pénibilité, enfin, il y a des mesures intéressantes en termes de prévention, de reconversion et d’accès au temps partiel. Mais le sujet reste bloqué par le patronat, plus particulièrement par le MEDEF. Le patronat est partagé entre certaines de ses branches qui aimeraient bien avoir des dispositifs de pénibilité pour leurs salariés âgés, mais qui ne veulent pas en assumer le coût et le renvoient à une mutualisation, et d’autres branches qui génèrent peu d’exposition à la pénibilité et ne veulent pas en assumer le coût.
Le gouvernement reste réticent à contraindre les employeurs. Pour la CFDT, il est clair qu’il ne saurait y avoir de débouchés positifs sans avancées concrètes sur la pénibilité. Il faut reconnaitre, d’une façon ou d’une autre, l’ensemble des facteurs de pénibilité et attribuer aux travailleurs concernés des droits à la prévention, à la reconversion, au temps partiel, mais aussi à la réparation, c’est-à-dire aux départs anticipés. La CFDT a rappelé que, tôt ou tard, le gouvernement et sa majorité parlementaire devraient trancher.
1. Le détail des mesures annoncées
a. Transitions
Le principe de la garantie des droits acquis, que la CFDT avait réclamé dès le début de la concertation, avec JP Delevoye, est acté et concrétisé par un scénario dit d’affiliation successive ou « à l’italienne ». Pour les générations nées entre 1975 et 2004, la pension sera composée de 2 éléments :
- une pension « nouveau système » calculée en points sur la base des cotisations versées entre 2025 et le départ à la retraite
- et une 2ème pension « ancien système » calculée selon les anciennes règles mais proratisée en fonction du nombre d’années travaillées avant 2025.
Le gouvernement accède à la demande insistante de la CFDT : que cette 2ème pension soit calculée sur la base des 25 meilleures années de la carrière totale dans le privé et sur le salaire des 6 derniers mois avant la retraite dans le public (et non pas sur les meilleures années avant 2025).
Concernant les droits familiaux, les enfants nés après 2025 donneront droit à une majoration de pension de 5% sur la pension « nouveau système » ; les enfants nés avant 2025 donneront droit à la même majoration sur la pension « nouveau système » et seront aussi pris en compte selon les règles actuelles dans le calcul de la pension « ancien système ».
Pour les catégories actives qui sont mises en extinction, le droit au départ anticipé sera pleinement conservé quand la durée minimale de service est acquise. Quand cette durée minimale n’est que partiellement atteinte, le droit au départ anticipé sera proratisé.
b. Fins de carrière
Le droit à la retraite progressive sera ouvert dès 60 ans, comme aujourd’hui et comme l’a demandé la CFDT, et non pas à 62 ans comme le prévoyait le projet de loi. Ce droit sera ouvert également aux fonctionnaires, avec des conditions d’accès à préciser. Un ensemble de mesures visent à promouvoir l’emploi des seniors : valorisation de l’expérience par des « clubs d’experts » prenant la forme de groupements d’employeurs mettant à disposition des salariés expérimentés, valorisation du tutorat, développement du mécénat de compétences. Dans la fonction publique hospitalière, un fonds de financement des actions de prévention doté de 40 millions d’euros sera créé pour améliorer les conditions de travail et la formation. Le FEH (fonds pour l’emploi hospitalier) financera quant à lui un passage à temps partiel pour les 2 dernières années de la carrière : travail à mi-temps payé 75% avec maintien des cotisations. Dans la fonction publique, le CET pourra être mobilisable en fin de carrière pour accéder à du temps partiel, et ce dès 2022. Enfin, la proposition de la CFDT de créer un compte épargne temps universel (CETU) pour l’accès au temps libre en cours de carrière est reprise par le gouvernement, mais elle reste à concrétiser.
c. Pénibilité
Faute d’avancées concrètes en matière de réparation, le gouvernement propose un effort accru pour la prévention et la reconversion:
- Financement d’investissements de prévention par mobilisation des excédents de la branche ATMP (à hauteur de 100 millions d’euros annuels) ;
- Création d’un congé de reconversion accessible aux titulaires du C2P et aux salariés exposés aux 4 autres facteurs de pénibilité, et pouvant aller jusqu’à 6 mois de congé-formation avec un abondement du CPF à hauteur de 12 500 € ;
- Déplafonnement du C2P pour l’accès au temps partiel et à la formation ;
- Meilleure reconnaissance de la poly-exposition via des bonus de points accordés aux salariés exposés à au moins 2 facteurs de pénibilité ;
- Renforcement du droit à départ anticipé en cas d’invalidité supérieure à 10% par la création d’une visite obligatoire à 55 ans.
Enfin, il est envisagé la mutualisation d’une partie de l’indemnité de licenciement pour inaptitude (elle ne serait plus seulement à la charge du dernier employeur). Mais cette piste n’est pas encore concrétisée.
Pour la CFDT, ces mesures ne sont pas négligeables mais elles restent insuffisantes. La mutualisation de l’indemnité de licenciement pour inaptitude peut constituer une incitation à l’embauche de seniors, mais elle peut aussi faciliter le licenciement pour inaptitude.
Mais surtout, il manque à cette liste un droit à réparation pour tous les travailleurs exposés aux 3 facteurs « ergonomiques » et au facteur chimique.
Vous trouverez en annexe le courrier du Premier ministre adressé aux partenaires sociaux, ainsi que le document de restitution des concertations réalisé par le gouvernement.
2. Positions des autres organisations
Pour la CGT, le compte n’y est pas. Elle continue de demander le retrait du projet de loi et l’ouverture de réelles négociations, qu’elle veut centrer sur les questions relatives au travail. Pour cela, la CGT demande le retour des CHSCT. Sur la pénibilité, elle redit son hostilité à la prise en compte individuelle des expositions. Elle dit sa préférence pour une prise en compte collective, par métier, avec une garantie de départ anticipé (1 trimestre de droit à départ anticipé par année d’exposition !).
FO reste opposée au « système universel par points », mais veut bien continuer de prendre part aux échanges et faire des propositions. Pour montrer ses bonnes dispositions, elle rappelle qu’elle a signé l’accord Agirc Arrco de 2017 créant un régime par points… unifié mais pas universel. Sur la pénibilité, elle demande la prise en compte de tous les facteurs d’exposition, en particulier à l’hôpital. Elle demande derepousser l’examen de la loi pour attendre les résultats d’éventuelles négociations de branches sur la prévention. FO réaffirme son attachement à un minimum de pension égal à 100% du SMIC, sans attendre la conférence de financement.
La CFE-CGC maintient sa position d’hostilité à la réforme systémique. Sur la retraite progressive, elle affirme que rien ne fonctionnera sans la levée de l’autorisation de l’employeur (pour le travail à temps partiel), et demande que la loi assure le même droit à la retraite progressive pour tous les salariés. Sur la pénibilité, la CFE-CGC précise que la question centrale concerne les risques psychosociaux et que rien ne progressera sans une taxation des employeurs. A l’hôpital, les problèmes se réduisent à une carence de moyens. La remise en place des CHSCT est le moyen pour progresser sur cette question. Elle se dit opposée à la fin des catégories actives. Enfin, le CET ne doit pas conduire à l’intensification du travail.
La CFTC valorise les avancées obtenues par la négociation, notamment en matière de transition, mais elle regrette le blocage sur la pénibilité. Pour elle, le droit à réparation doit être étendu aux personnes exposées aux 4 facteurs de pénibilité exclus en 2017. Elle se dit favorable au développement de la prévention, mais elle reste prudente quant à la capacité des branches à mener ce travail. Enfin elle rappelle que sur le minimum de pension il y a certes un enjeu financier, mais surtout un enjeu social.
Pour l’UNSA, la transition entre activité et retraite doit continuer à être discutée, même au-delà de la loi. Sur la pénibilité, elle est disposée à continuer les échanges et est favorable au renforcement du droit à une 2ème carrière. Elle suggère de prévoir des bonus-malus pour les employeurs et souligne que l’Etat ne doit pas se dessaisir de ses responsabilités en cas de carence des négociations entre partenaires sociaux.
Le MEDEF se dit de plus en plus inquiet du projet de loi dont les mesures viendraient mettre à mal l’équilibre financier des retraites (hausse du minimum de pension…). Il dit avoir fait des propositions et des ouvertures lors des discussions, mais il s’oppose fermement à une reconnaissance de la pénibilité par métier, qui reviendrait selon lui à créer des régimes spéciaux dans le privé. Il précise que si le sujet est néanmoins ouvert, la contrepartie sera une remise en cause des carrières longues. Il se dit favorable aux autres propositions du gouvernement en matière de reconversion, de prévention, de retraite progressive et d’emploi des seniors. Enfin, la mutualisation des indemnités de licenciement pour inaptitude lui parait difficile à mettre en oeuvre.
La CPME se dit aussi inquiète du coût croissant de la réforme. Elle se dit intéressée par la mutualisation du coût de l’indemnité de licenciement pour inaptitude qui est un vrai frein à l’embauche des seniors. Elle reconnaît que la pénibilité est un vrai problème qui doit être traité notamment par la prévention. Elle s’oppose en revanche à ce que la traçabilité de la pénibilité entraîne un surcroît de complexité pour les employeurs et elle craint que la réparation coûte cher et demande que ce coût soit mutualisé.
Sur la pénibilité, l’U2P se dit extrêmement favorable à la prévention, et est également d’accord avec la création des clubs d’experts et la mutualisation des indemnités de licenciement pour inaptitude, mais demande le chiffrage de ces nouvelles mesures.
Cette multilatérale conclut en partie les sujets qui avaient été mis à l’agenda de la concertation en décembre. Cependant, il reste encore un certain nombre d’éléments sur lesquels des avancées restent à obtenir. La CFDT reste mobilisée dans les discussions qui porteront sur les points qui achoppent encore. En particulier, une meilleure prise en compte de la pénibilité via des départs anticipés est indispensable pour que cette réforme soit synonyme de justice sociale.
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