Investir dans les services publics. Entretien avec Olivier Bouba-Olga, économiste
Publié le samedi 4 juillet 2020
« Les services publics sont une des composantes de la richesse d’un pays, il ne faut pas l’oublier ! ». Entretien avec Olivier Bouba-Olga, économiste.
Services publics et crise du Covid-19. Quels enseignements ? Cet entretien, réalisé par Françoise Lambert, a paru dans le no 275 (mars-avril-mai 2020) de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
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Quels sont pour toi les grands enseignements de la crise actuelle ?
C’est le changement de regard – et le changement de discours – sur l’hôpital, la santé, les services publics. La vraie rupture a même eu lieu au moment de la crise des gilets jaunes. Avant, l’idée dominante, c’était la nécessité que la France soit compétitive, le besoin d’une « start-up nation », la confiance dans une élite mondialisée, et ensuite on aurait un « ruissellement » qui permettrait que l’ensemble de la société en bénéficie. Toute la dimension services publics était laissée de côté.
La crise des gilets jaunes et celle du coronavirus ont fait prendre conscience qu’il fallait reposer la question des services publics. Ce qu’il y a derrière la première de ces crises, c’est le besoin de mobilité des populations, c’est toute la question des services de transport. Et derrière la seconde, c’est celle du système de santé, bien sûr. Et in fine, la question qui est posée, c’est la nécessité de répondre aux besoins de base de la population.
La crise des gilets jaunes et celle du coronavirus ont fait prendre conscience qu’il fallait reposer la question des services publics.
Finalement, ces deux crises ont eu un effet positif elles vont permettre de se reposer la question des services publics, des services pour la population. Tout d’abord, elles ont permis de comprendre que les premiers de cordée, ce sont les infirmier·e·s, les aides soignant·e·s, les caissier·e·s de supermarché, les éboueur.se.s… La société ne fonctionne pas sans eux.
les premiers de cordée, ce sont les infirmier·e·s, les aides soignant·e·s, les caissier·e·s de supermarché, les éboueur.se.s…
Ensuite, ces crises ont amené à se réinterroger sur les besoins de base, à réfléchir à la meilleure façon d’y répondre : si les besoins fondamentaux ne sont pas couverts, rien n’est possible. Et en ce sens, il ne faut pas voir les dépenses liées aux services publics uniquement comme un coût immédiat, mais comme un investissement, autrement dit : une dépense dont les avantages se manifestent sur une période longue. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il ne faille pas s’interroger sur la meilleure façon de faire ces dépenses, mais il faut cesser de considérer qu’elles sont juste une charge. Elles participent au contraire à la création de richesses ! Car l’absence ou les difficultés de mobilité, d’accès aux soins ont aussi un coût…
Qu’est-ce qui fait que cette approche est transposable à l’Enseignement supérieur et à la Recherche (ESR) ?
Comme dans le cas de la mobilité et de la santé, ces dépenses avaient été uniquement considérées comme un coût, et pas comme un investissement. L’investissement dans l’ESR, c’est le volet éducatif à haut niveau des services publics. Et ces dépenses permettent de nourrir la capacité d’innovation d’un pays.
En effet, l’un des enseignements des théories de la croissance, c’est le rôle de l’innovation. C’est pour cela que l’investissement dans la recherche est si important, car la recherche, c’est l’impulsion – l’input essentiel – de l’activité d’innovation. L’investissement dans la recherche permet l’innovation, laquelle rend possible la création de richesses. Et de la même façon, avoir une population formée à haut niveau, c’est avoir les moyens de répondre aux enjeux de demain. La question, ce n’est donc pas ce que ça coûte, mais la capacité à répondre au mieux aux besoins, présents et futurs.
avoir une population formée à haut niveau, c’est avoir les moyens de répondre aux enjeux de demain.
Pour contrer le choc violent que nous sommes en train de subir, l’État met en place des politiques de relance, pour compenser la sous-consommation, le sous-investissement privé. Dans ce type de crise, c’est en effet la seule solution. Mais il faut aussi réfléchir au type d’investissement que l’État doit privilégier. Car le rôle de l’État, c’est de porter le long terme, à l’inverse du marché qui est quelquefois très myope. Ainsi, il faut mettre le paquet sur la transition écologique, cela suppose d’innover, et donc il faut investir dans les universités, les laboratoires, pour répondre à cet enjeu colossal. Il faut innover, et pour cela, créer les conditions de l’innovation.
le rôle de l’État, c’est de porter le long terme, à l’inverse du marché qui est quelquefois très myope.
Par exemple, si on prend la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), l’essentiel des efforts va porter sur la fin de la période, dans dix ans. Mais c’est maintenant que ça se joue ! C’est maintenant qu’il faut investir massivement pour limiter les coûts du réchauffement climatique ! Les dépenses doivent avoir lieu aujourd’hui, pour des bénéfices dans le futur.
Les services publics sont une des composantes de la richesse d’un pays, il ne faut pas l’oublier ! • Entretien réalisé par Françoise Lambert